En route pour la carboneutralité
Cet article s’inscrit dans la collection « DOSSIER ÉNERGIE»
Par Valérie Levée
Québec s’est aligné sur l’objectif de la carboneutralité en 2050 et se fixe une cible intermédiaire de réduction de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sous le niveau de 1990 d’ici 2030. Cela implique de délaisser les hydrocarbures au profit d’énergies qui émettent moins de GES. L’électrification devient le nouveau mot d’ordre, dans la mesure où il s’agit d’une électricité à faible émission de GES. Il est question d’électrifier les transports, de décarboner les systèmes de chauffage au mazout et au gaz naturel et d’électrifier les procédés industriels. À cela s’ajoutent les besoins en électricité des secteurs émergents, comme la production d’hydrogène vert, le chauffage des serres, les centres de données, et les nouveaux contrats d’exportation d’électricité.
Assurément, les surplus d’Hydro-Québec sont choses du passé. La réalité est plutôt qu’un Québec carboneutre doit produire plus d’électricité. C’est d’ailleurs ce qu’annonçait Hydro-Québec dans son Plan stratégique 2022-2026 : « Plus de 100 TWh additionnels d’électricité propre seront requis pour que le Québec atteigne la carboneutralité à l’horizon 2050. » En comparaison, d’après le rapport État de l’énergie au Québec – 2022 de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, en 2020 la province a produit 207 TWh d’électricité. La tâche de combler les besoins nécessaires à la carboneutralité s’annonce ardue pour Hydro-Québec. Dans un horizon plus proche, Hydro-Québec annonce dans son Plan d’approvisionnement 2022-2032 des besoins supplémentaires en électricité de 25 TWh pour 2032. Autre comparaison, le complexe de la Romaine produit 8 TWh. Les grands barrages d’Hydro-Québec ne suffiront pas seuls à la tâche.
Agir sur plusieurs fronts
Les déboires du nucléaire français à l’automne 2022 ont bien montré les risques qu’il y a à fonder une grande majorité de la production électrique d’une nation sur une solution unique. Or, les changements climatiques pourraient bien perturber la production d’hydroélectricité. « La question n’est pas de savoir s’il y aura un accident de pluviométrie, mais quand il aura lieu », prévient Gabriel Durany, le directeur général de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER). Pour lui, il faut miser sur la diversité des solutions énergétiques.
« Nos grands barrages forment la colonne vertébrale de notre stratégie énergétique, mais il y a d’autres formes d’énergie renouvelable comme la cogénération, la petite hydro, l’éolien, le solaire et les bioénergies, signale-t-il. Il y a des solutions de stockage avec les batteries, l’hydrogène ou sous forme de chaleur. »
« Nos grands barrages forment la colonne vertébrale de notre stratégie énergétique, mais il y a d’autres formes d’énergie renouvelable comme la cogénération, la petite hydro, l’éolien, le solaire et les bioénergies. »
Gabriel Durany – Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER)
Avec ses 130 entreprises actives dans ces diverses filières, l’AQPER a un rôle à jouer, et toutes devront se mobiliser de concert avec les municipalités, les communautés autochtones, Hydro-Québec, Énergir, le gouvernement… « C’est un effort global. Personne, chez Hydro-Québec, parmi les membres de l’AQPER ou au gouvernement n’a assez de ressources et de capitaux pour réussir seul la transition, affirme Gabriel Durany. Il faut mobiliser beaucoup de capitaux et d’expertise et agir sur plusieurs fronts en même temps. » La question est maintenant de savoir quelles peuvent prendre les diverses solutions énergétiques.
Une feuille de route vers la carboneutralité
Pour visualiser l’ampleur du défi, le gouvernement du Québec a mandaté la firme Dunsky pour établir des trajectoires menant à la carboneutralité en mettant en œuvre les énergies renouvelables et la bioénergie. Une trajectoire raisonnable estime qu’il faudra ajouter 125 TWh d’électricité et 47 TWh de bioénergie en 2050 et propose un jalon intermédiaire en 2030 avec 54 TWh d’électricité supplémentaire et 37 TWh en bioénergie. L’AQPER s’est appuyée sur le rapport Dunsky pour élaborer sa propre feuille de route et évalue à 35,5 TWh les besoins en électricité renouvelable pour 2030 et à 130 TWh pour 2050. « En prenant en compte la maturité technologique des différentes filières et des modèles d’affaires, on essaie de voir quelle pourrait être la contribution de chaque filière pour 2030, mentionne Gabriel Durany. À l’AQPER, on dit qu’on en produirait entre le tiers et la moitié, et qu’Hydro-Québec fournirait entre la moitié et les deux tiers. On a donc déterminé que l’industrie indépendante en produirait entre 9,5 et 14,5 TWh. » Parce que la filière éolienne profite d’un des modèles d’affaires les plus avancés des filières d’énergies renouvelables québécoises, il faut compter sur elle pour produire les 35,5 TWh requis d’ici 2030. Comme le rapport État de l’énergie au Québec – 2022 indique que la production éolienne du parc existant avoisinait les 11 TWh en 2020, cela revient à doubler la taille du parc éolien actuel. C’est tout à fait faisable, selon Gabriel Durany, car le Québec est riche en gisements éoliens, et les nouvelles éoliennes produisent de deux à trois fois plus d’énergie que les précédentes pour la même empreinte au sol. Hydro-Québec est déjà en procédure d’appels d’offres.
Soulager la charge du réseau
Même si la filière éolienne prend les devants, l’apport des autres filières ne sera pas négligeable. Les panneaux solaires ont en effet des avantages qui font défaut aux éoliennes. Ils peuvent être rapidement installés sur un toit, un bord de route, un terrain vague ou un bassin de rétention. Ils sont pertinents autant en ville que dans les plus petites municipalités, et encore plus dans les communautés isolées non raccordées au réseau de distribution. En ville, ils permettent de produire de l’électricité sur place pour soulager la charge du réseau qui apporte l’électricité produite au loin par les barrages ou les parcs éoliens. Ailleurs, la production locale couplée à un système de stockage peut éviter d’avoir à augmenter la capacité du réseau de distribution. « Il faut penser aux coûts, précise le directeur de l’AQPER. Certaines améliorations du réseau coûtent cher, et des municipalités et communautés peuvent voir le solaire-batterie comme une solution pour resserrer les coûts. »
En raison des coûts d’adaptation du réseau, il ne sera peut-être pas possible de tout électrifier, et c’est là que les bioénergies comme la biomasse, le gaz naturel renouvelable et les biocarburants trouvent leur place. Des industries alimentées par les combustibles fossiles pourraient remplacer leur mazout ou leur gaz naturel par de la bio énergie et réduire leurs émissions de GES. « L’industrie est le deu xième poste d’émissions de GES au Québec. Des régions industrialisées sur la Côte- Nord, en Abitibi-Témiscamingue ou en Gaspésie croulent sous la biomasse forestière résiduelle qui pourrait être utilisée pour fournir une chaleur verte », croit Gabriel Durany. Quant au lisier et au fumier, ce sont des sources de GES, mais au lieu de les laisser se décomposer, on peut les convertir en bioénergie pour remplacer des énergies fossiles. Cette solution fait alors coup double dans la réduction du bilan carbone de la province.
Et l’hydrogène, dans tout ça ?
Tout comme le modèle du rapport de Dunsky, l’AQPER ne peut accorder à l’hydrogène de rôle précis dans la Feuille de route de 2030, mais voit ce vecteur d’énergie comme un point de raccordement des autres filières énergétiques qui représente à ce titre un élément essentiel de la carboneutralité en 2050. Toutefois, l’AQPER a repéré plusieurs projets en cours usant d’hydrogène vert et tournés vers la production de carburants liquides et gazeux de prochaines générations. Ces seuls projets représentent une demande additionnelle de 10 à 15 TWh à l’horizon 2030 ; ces chiffres sont intégrés à la Feuille de route, et l’AQPER s’emploie à conscientiser les parties prenantes et à faire valoir l’importance de la discussion à ce sujet. « L’hydrogène vert produit par électrolyse ou par gazéification de biomasse peut être vu comme un bloc de construction de chimie verte pour produire du méthanol vert, de l’ammoniac vert ou du gaz naturel renouvelable de prochaine génération », explique Gabriel Durany. Dans cette perspective, Enerkem, qui synthétise des biocarburants à partir de déchets, a annoncé la construction d’un électrolyseur pour produire de l’hydrogène.
Diversifier et arrimer les énergies
La transition énergétique appelle à délaisser le pétrole pour se tourner vers les autres formes d’énergie. « Le pétrole était la solution unique à tous nos besoins énergétiques. On est en train de sortir de la bulle du pétrole pour entrer dans une solution plus diversifiée », décrit Gabriel Durany. Il reconnaît que cette transition transformera le paysage industriel. « Certains usages vont disparaître parce qu’ils sont trop énergivores, des pratiques industrielles devront s’adapter à la production énergétique », anticipe-t-il. Nul ne peut prédire la future composition du bouquet énergétique du Québec, mais la route vers la carboneutralité est plus une question d’arrimage entre les différentes filières énergétiques que de disponibilité d’énergie, estime Gabriel Durany. La solution sera d’utiliser la bonne énergie au bon endroit.
Des idées reçues revisitées
Les énergies renouvelables souffrent de fausses perceptions qui nuisent à leur développement, selon Gabriel Durany, directeur général de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER). Par exemple, les énergies éolienne et solaire sont dites intermittentes parce que le vent ne souffle pas toujours et que le soleil ne brille pas la nuit. Mais, outre l’hydroélectricité qui peut pallier l’intermittence de ces énergies, des solutions de stockage avec des batteries, voire de l’hydrogène, se développent.
Concernant le vent, les modèles météorologiques qui s’affinent permettent de meilleures prévisions du vent pour mieux gérer le réseau électrique. Par ailleurs, sur le vaste territoire du Québec, le vent souffle toujours un peu quelque part.
Quel coût pour les énergies renouvelables ?
Les énergies renouvelables ont aussi la réputation de coûter cher. Ce à quoi Gabriel Durany rétorque que les importations d’hydrocarbures pèsent lourd dans la balance commerciale du Québec. « Le pétrole coûte plus cher que l’éolien, même si on ajoute le coût d’interconnexion au réseau et celui des batteries », assure-t-il.
En fait, c’est l’inefficacité du moteur thermique qui plombe notre balance commerciale. « Après des décennies d’innovation du moteur à combustion, on est toujours à 20 ou 25 % d’efficacité lorsqu’il est utilisé en transport, rappelle le directeur de l’AQPER. Et cela coûte cher. Au prix de 1,35 dollar le litre à la pompe, sans parler des externalités négatives, on arrive à 55 cents le kWh. » Habitués que nous sommes à l’essence, nous omettons de remettre en question l’inefficacité du moteur thermique. Ce rappel invite à relativiser le coût des énergies renouvelables.
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