Adaptation aux changements climatiques : un énorme chantier en cours…
Cet article s’inscrit dans la collection « Transition écologique ».
Par Mélanie Larouche
Au Québec, le milieu de l’ingénierie surveille la situation liée aux changements climatiques depuis près d’une trentaine d’années déjà, mais l’évolution demeure lente. Des comités sont mis en place pour établir de nouvelles normes visant à faire face aux problèmes à venir. Certes, les nouvelles infrastructures en tiendront compte, mais les anciennes devront également être adaptées.
« Les premiers rapports relatifs aux impacts des changements climatiques sur notre environnement sont sortis en 1990 – premier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – souligne d’entrée de jeu Jean-Luc Martel, ingénieur et professeur en génie de la construction à l’École de technologie supérieure. Ça fait 30 ans maintenant qu’on parle des effets à considérer. À l’époque, on n’avait toutefois pas le même regard qu’aujourd’hui, mais c’était déjà une préoccupation. Maintenant, le public est plus informé. Nous sommes présentement dans une transition, mais il y a encore bien des zones grises. »
C’est ce qui explique, selon lui, que le milieu ne soit pas très adapté et que les marges de manœuvre des ingénieures et des ingénieurs sont encore limitées. Il prend pour exemple le Code national du bâtiment : « On devrait y voir des dispositions ou des modifications techniques liées aux changements climatiques dans la prochaine édition, mais c’est juste un début. Jusqu’à présent, le Code a toujours été basé sur l’historique, ce qui ne tient pas compte des nouvelles valeurs et des tendances climatiques. »
« Il devient évident que l’impact sera majeur. […] Même si nous sommes en mesure de nous habituer à ces changements, les infrastructures ne peuvent pas s’adapter aussi facilement à ces nouvelles réalités. »
— Jean-Luc Martel, ing. — École de technologie supérieure
Comprendre pour mieux évaluer
« Quand il est question de changements climatiques au Québec, on entend surtout parler d’une hausse de deux degrés Celsius, mais c’est plus complexe que de simplement croire que l’été et l’hiver deviennent un peu plus chauds, c’est une moyenne planétaire, indique Jean-Luc Martel. Les continents et le Nord se réchauffent plus vite, la neige et la glace fondent, reflétant de moins en moins les rayonnements solaires, ce qui fait qu’au Canada, ça sera plutôt une hausse de quatre degrés. Au Nord, la hausse pourrait atteindre six degrés environ. Il devient évident que l’impact sera majeur ; la fonte du pergélisol et l’atmosphère plus chaude entraînent plus d’humidité emmagasinée, donc plus d’événements de précipitations extrêmes. Oui, nous serons très touchés. Même si nous sommes en mesure de nous habituer à ces changements, les infrastructures ne peuvent pas s’adapter aussi facilement à ces nouvelles réalités. »
Jean-Luc Martel mentionne que des travaux sont en cours afin que les nouvelles lignes directrices et les normes tiennent davantage compte de la transition écologique. « On est en train d’avancer, mais ça ne va pas assez vite, estime-t-il. Pour l’heure, bien des membres de l’Ordre ont besoin de se référer à des personnes qui ont les connaissances nécessaires pour les aider à évaluer les répercussions futures sur leurs travaux d’infrastructure. Mais pour être au courant de l’étendue de ces variables et en tenir compte, il faut d’abord pouvoir trouver l’information. Nous sommes dans cette transition. Bien que les scientifiques aient l’expertise et les connaissances pour savoir vraiment ce qui nous attend en ce qui a trait aux changements climatiques, établir de nouvelles lignes directrices et des normes en conséquence s’avère complexe. »
Si, d’un point de vue professionnel, l’Ordre des ingénieurs du Québec a un devoir de protection du public et, de ce fait, une responsabilité en ce qui concerne les effets des changements climatiques, dans la réalité, ce n’est pas si simple. « La société commence à peine à se rendre compte de l’ampleur de la situation, à comprendre à quel point c’est vraiment important de tout revoir et de prendre le virage de la transition écologique, rappelle le professeur Martel. Depuis peu, les donneurs d’ouvrage demandent qu’on en tienne compte, ce sera ainsi à l’avenir. Prenez par exemple les égouts pluviaux ; la réalité d’aujourd’hui, c’est qu’ils ont été conçus en fonction des données historiques selon lesquelles un événement extrême ne survient qu’une fois tous les 10 ans. Toutefois, ces événements seront de plus en plus fréquents et nous devons en tenir compte pour les prochaines constructions. Notre réseau actuel est rapidement chargé; dans la nouvelle réalité qui nous attend, il ne tiendrait pas le coup… C’est tout le réseau qui doit être adapté.»
Des formations, des mises à jour régulières, mais encore trop peu d’avancées, et surtout pas de changements majeurs au sein de l’industrie, voilà comment se résume la vision de Jean-Luc Martel quant au contexte actuel de l’industrie relativement aux changements climatiques. « Sur le plan de la formation donnée aux étudiants et étudiantes en génie, chaque changement apporté dans les programmes d’études doit être évalué pour démontrer qu’ils respectent les critères du Bureau canadien d’agrément des programmes de génie (BCAPG). Toutefois, dans mes cours, je parle systématiquement de la nécessaire adaptation aux changements climatiques et je renseigne les étudiants et étudiantes sur les ressources présentement disponibles pour connaître les impacts sur leurs conceptions. C’est un énorme chantier en cours, pourrait-on dire. »
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