De la recherche à la commercialisation
Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Gabrielle Anctil, journaliste.
Le domaine de la microélectronique est en pleine effervescence, et le Québec n’est pas en reste.
Réveille-matin, brosse à dents élec- trique, machine à café, sans oublier bien sûr le téléphone cellulaire sur lequel vous consultez les nouvelles du jour… Dès le lever, votre vie est rythmée par le travail de puces électroniques. C’est simple : « Tout ce qui a un bouton de mise en marche contient une puce », résume l’ingénieure Marie-Josée Turgeon, présidente- directrice générale du Centre de collaboration MiQro Innovation (C2MI).
Composants minuscules, ces puces (ou circuits intégrés) dépendent de matériaux semi-conducteurs (généralement du silicium) et de machines de pointe pour leur fabrication. Leur effet sur notre société est inversement proportionnel à leur taille : sans ces pièces, il faudrait dire adieu aux domaines de l’intelligence artificielle, de l’informatique quantique et à de nombreuses autres technologies.
La fabrication de ces puces est immensément complexe, et seules une poignée de fonderies ont l’équipement nécessaire pour y parvenir. La plus importante, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), est au cœur de tensions géopolitiques mondiales ; Apple en est le plus grand client. Samsung et Intel occupent les deux autres marches du podium de la production de circuits intégrés.
Et ici ? « On ne fabrique pas de circuits intégrés au Canada », indique Serge Ecoffey, ing., professeur au Département de génie élec- trique et de génie informatique à l’Université de Sherbrooke. Ces circuits sont fabriqués en « tranches » (ou wafer ) dans l’une des grandes fonderies ; ces tranches sont par la suite découpées en puces de quelques millimètres de largeur. À cette étape, le travail n’est cependant pas terminé. « Les puces produites à Taïwan ne peuvent pas être mises directement dans un téléphone, explique l’ingénieur. On doit les assembler avec d’autres éléments pour en faire des systèmes avancés. » C’est là que le génie québécois de la microélectronique entre en jeu.
Carré de sable de haute technologie
Entre les pistes de ski et de vélo de montagne de la ville de Bromont, en Estrie, se cache une « zone d’innovation » en pleine effervescence. Tout a commencé lorsque deux grands acteurs de la microélectronique – IBM et Teledyne DALSA – ont réalisé qu’ils avaient le même problème : comment faire de la recherche et développement sur des équipements de production sans interrompre le flot des com- mandes ? « Ils se disaient : “Je dois arrêter les machines qui sont mon pain et mon beurre aujourd’hui pour développer des procédés qui seront mon pain et mon beurre dans l’avenir” », rapporte Marie-Josée Turgeon. C’est ainsi que le C2MI est né.
Sorte de Fablab de haut niveau, le C2MI possède des équipements répondant aux plus stricts standards destinés à l’innovation pour les deux partenaires industriels, mais pas seule- ment. « C’est un concept unique ! », s’enorgueillit la PDG. Le Centre vient aussi combler ce que Serge Ecoffey décrit comme la « vallée de la mort électronique ». « En milieu universitaire, il est difficile de maintenir les équipements dans des conditions répondant aux standards des usines de fabrication », mentionne Marie- Josée Turgeon. Une jeune pousse qui tente- rait d’émerger de ces laboratoires n’aura nulle part où développer son produit. Il lui faudra se tourner vers des ressources à l’étranger, et celles-ci ne voudraient peut-être pas accepter des commandes modestes.
Plus maintenant : grâce au matériel et à l’expertise du C2MI, les entreprises en démarrage ont maintenant un endroit où déployer leurs ailes. « On travaille souvent avec les usines qui s’occuperont de la fabrication par la suite, dit l’ingénieure. Le transfert vers la production s’en trouve facilité. »
« Ils se disaient : “Je dois arrêter les machines qui sont mon pain et mon beurre aujourd’hui pour développer des procédés qui seront mon pain et mon beurre dans l’avenir.” »
Marie-Josée Turgeon, ing., PDG du centre de collaboration miqro innovation (C2MI)
L’avenir dans l’infiniment petit
Alors, que fabrique-t-on au Québec ? Titulaire de la Chaire de recherche C2MI en microfabrication et intégration, l’ingénieur Serge Ecoffey s’intéresse particulièrement aux systèmes microélectromécaniques (MEMS), des systèmes composés de parties mécaniques qui servent de capteurs. « Dans nos cellulaires, il y a des centaines de capteurs, signale-t-il. Quand on tourne notre appareil et que l’écran se met en position horizontale, c’est grâce à un MEMS. » L’un des plus grands fondeurs de ces compo- sants, Teledyne DALSA, est justement situé à un jet de pierre du C2MI. « Teledyne DALSA a conçu des caméras infrarouges pour l’astromobile Curiosity, qui a été envoyé sur Mars ! » Mais ce qui préoccupe particulièrement Marie-Josée Turgeon est beaucoup plus terre à terre : l’environnement. « Nous sommes soucieux de voir la fabrication des puces s’améliorer pour atteindre la carboneutralité », déclare l’ingénieure. « On peut changer les processus ou les consommables, comme le gaz de gravure ou la colle pour les systèmes de microélectronique», dit pour sa part Serge Ecoffey. Une chose est certaine : avec un bac à sable à disposition, la recherche de solutions est largement facilitée.
C’est simple, toute révolution numérique qui se profile à l’horizon est fondée sur de minus- cules plaquettes de silicium. « Notre objectif est de toujours être au-devant de la prochaine génération de technologies », conclut Marie- Josée Turgeon.
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Boréas Technologies
Fraîchement diplômé de l’Université Harvard, c’est à Bromont que Simon Chaput a décidé de s’établir, brevet en poche, pour fonder l’entreprise Boréas Technologies. « On travaille avec le C2MI depuis notre fondation », signale-t-il. Sa jeune pousse se spécialise en technologie haptique, qui permet, par exemple, d’offrir au toucher d’un écran de téléphone la sensation d’avoir appuyé sur un bouton mécanique.
Si les usages sont évidents pour l’industrie du jeu vidéo, ce type de rétroaction peut s’appliquer dans divers domaines, notamment dans les automobiles. « On peut configurer l’haptique pour quelqu’un qui tire un coup de fusil dans un jeu ou qui applique le frein ; la sensation sera différente », explique le fondateur de Boréas Technologies, qui a aussi fait une maîtrise en génie électrique à l’Université Sherbrooke.
Pour Simon Chaput, il ne fait aucun doute que la présence du C2MI a contribué au succès de son entreprise. « Comme nous étions en démarrage, nous ne pouvions pas acheter de machines, il fallait passer des commandes à un laboratoire externe, se remémore-t-il en déplorant les retards causés par une telle démarche. Au C2MI, nous pouvions former notre personnel sur l’équipement. »
Boréas Technologies a particulièrement tiré profit des équipements d’analytique et de leur fiabilité pour mener des tests de performance de ses produits, en les exposant à des températures extrêmes, à l’humidité ou à de fortes pressions.
« Pendant la phase de développement, ce sont des tests qu’on peut avoir à faire plus d’une fois. Si on mène ces tests soi-même, on peut comprendre ce qui se passe, voir des choses qu’on ne verrait pas si quelqu’un le faisait pour nous. »
Les choses vont de toute évidence rondement pour le PDG : des cinq cubicules loués dans le bâtiment du C2MI en 2017, il est passé à un demi-étage – avant que la PDG Marie-Josée Turgeon lui indique qu’il était temps qu’il vole de ses propres ailes. Ses nouveaux locaux sont à 500 mètres du Centre de collaboration. « Les ingénieurs de Boréas y vont encore presque quotidiennement pour leurs travaux. »
L’entrepreneur se réjouit aussi de voir le développement de la zone d’innovation de Bromont. « Il y a de plus en plus d’entreprises ici. Plus il y en aura, plus ça accélérera le développement pour tout le monde. On pourra attirer de la main-d’œuvre spécialisée, il y aura plus de possibilités d’emploi. »
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