Ashini Consultants : au cœur du développement autochtone
Cet article s’inscrit dans la collection « Parcours d’entreprise ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Pigment B
Lorsque Marie St-Gelais, ing., a voulu baptiser la firme de génie-conseil qu’elle rachetait avec son conjoint, le nom de sa grand-mère, Ashini, lui est tout naturellement venu à l’esprit. Ashini signifie « roc» en innu, à l’image d’une matriarche qui menait de front aussi bien l’exploitation d’une arcade de jeux et d’un restaurant que la gestion d’une famille nombreuse à Pessamit, non loin de Baie-Comeau. Comme sa parente, dont elle se sent très proche, la directrice générale d’une importante entreprise de génie autochtone n’arrête jamais. Son quotidien se compose non seulement de la gestion de contrats dans le domaine municipal, tout comme dans ceux des mines et de la construction, mais aussi d’actions visant à soutenir des jeunes des Premières Nations dans leurs études en génie. Sans oublier son implication dans plusieurs formations universitaires. Petit retour en arrière pour comprendre où elle puise tant d’énergie.
La passion pour le génie façon Marie St Gelais trouve en partie sa source sur ses terres ancestrales, la Côte-Nord, là où se construit une centrale hydroélectrique. La jeune étudiante en génie civil à l’Université Laval y effectue son premier stage pour Hydro-Québec au début des années 2000. «J’ai découvert l’énorme chantier de construction de la centrale de la Toulnustouc, racontet-elle. J’étais très impressionnée! Tout était énorme, et les tâches étaient nombreuses et variées. Cela m’a vraiment emballée.» Enthousiaste, l’étudiante met les bouchées doubles au retour sur les bancs de l’université. Elle qui adore travailler à l’extérieur de même que les projets qui bougent vient de trouver la profession qui répond à ses attentes. «Une fois diplômée en 2006 et maman de mon premier enfant, j’ai travaillé deux ans pour une entreprise de génie qui faisait des calculs de ponts et de structures, se souvient la directrice d’Ashini Consultants. Cela m’a donné une bonne base technique et une grande rigueur. Sauf que mon téléphone ne sonnait presque jamais, j’avais besoin de plus d’action.» Deux ans plus tard la voilà, à 27 ans, chargée de projet pour ArcelorMittal à Sept-Îles. À elle la gestion des investissements dans les mines, le port, le chemin de fer qui achemine le minerai vers les navires. De grosses responsabilités qui vont comme un gant à cette passionnée du génie tous azimuts.
Il existait très peu de services professionnels pour les Premières Nations. Il fallait offrir des services proches des besoins des communautés, en s’assurant d’un maximum de retombées locales.
Marie St-Gelais, ing. — Ashini Consultants
La naissance d’Ashini Consultants
Le hasard de la vie la ramène en 2014 au Saguenay, où elle a vécu une partie de son enfance. De fil en aiguille, un de ses contacts l’embauche comme consultante dans l’entreprise de génie-conseil où il travaille. La jeune femme rachète une partie du cabinet-conseil en 2016 pour fonder avec son associé Ashini Consultants, une société tournée en grande partie vers les communautés autochtones. Leur premier projet? Un centre de santé et une résidence pour personnes âgées de 15 millions de dollars à Pessamit, sa communauté d’origine. «À cette occasion, j’ai pris conscience qu’il existait très peu de services professionnels pour les Premières Nations, mentionne l’ingénieure innue. Pour moi, il fallait absolument offrir des services proches des besoins des communautés, en s’assurant d’un maximum de retombées locales.»
Pour coller à la réalité de Pessamit, Ashini Consultants choisit une structure de bois et non d’acier, histoire de favoriser la main-d’œuvre locale de charpentiers-menuisiers. Au fil des ans, Marie St-Gelais perfectionne cette approche, et l’entreprise ouvre des bureaux dans trois communautés innues, en plus de celui de Chicoutimi. L’ingénieure civile mise sur une mobilisation des communautés locales qui songent à installer une mine, une ligne électrique ou à construire des bâtiments, ainsi que sur une implication technique des firmes autochtones. «Dès le début du projet, il faut prendre le leadership, analyse la directrice. De cette façon, les réalisations reflètent les valeurs de nos cultures ancestrales, mais aussi le développement durable, tout en répondant mieux aux besoins des populations directement concernées.»
Bâtir avec et pour les communautés autochtones
Ce souci de coller à la réalité du terrain pousse Ashini Consultants à s’interroger sur les lieux de passage des caribous avant de dessiner le tracé d’une ligne à haute tension. Ou encore à définir des lots de concassage adaptés aux capacités de traitement des entrepreneurs de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, où la communauté innue participe à l’ouverture d’une mine de fer. De la même façon, l’ingénieure civile fait appel à sa connaissance de la réalité des Premières Nations pour réaliser les plans et devis de quatre bâtiments qui vont accueillir des logements, une maternelle et une garderie, destinés notamment à des familles étudiantes autochtones à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
«Je crois beaucoup à l’éducation pour développer nos communautés», affirme celle qui a démarré un programme de bourses d’encouragement scolaire à l’intention des élèves du secondaire. Depuis 2019, Ashini Consultants soutient aussi financièrement des étudiants du cégep et de l’université en génie et en architecture. Les candidats des Premières Nations qui écrivent une lettre de motivation, tout en expliquant leur implication dans leur milieu, peuvent ainsi recevoir un coup de pouce financier de plusieurs milliers de dollars. Le propre cheminement de Marie St-Gelais reflète d’ailleurs cet intérêt pour la formation scolaire. Après avoir suivi avec sa mère des cours donnés par l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) et l’Université du Québec à Chicoutimi sur la gestion en contexte autochtone, la voici maintenant qui prépare un MBA offert par l’Université Simon-Fraser de Colombie Britannique. Axé sur le développement économique des Premières Nations, ce programme lui en apprend beaucoup sur les enjeux que vivent les autochtones de l’Ouest qui ont signé, par exemple, des ententes avec des compagnies de sables bitumineux. Cette connaissance permet à Ashini Consultants, qui compte désormais 5 employés autochtones sur 20, de placer les premiers occupants de ce coin de l’Amérique du Nord au cœur de la réappropriation de leur territoire.