Bertrand Nepveu : d’ingénieur à technopreneur
Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Pascale Guéricolas, journaliste.
Photo : Christian Fleury
Le casque de réalité virtuelle et augmentée Totem, dont Apple a fait l’acquisition a été lancé en février 2024 aux États-Unis seulement. Bertrand Nepveu croit en un entrepreneuriat créatif pour naviguer dans l’univers de la réalité virtuelle et augmentée.
L’hiver dernier, Bertrand Nepveu a vécu l’enfer sur les routes de Californie alors que des glissements de terrain projetaient d’énormes pierres sur la chaussée devant son véhicule. Il s’en est heureusement tiré sans une égratignure. « Je me suis exercé des milliers de fois à ce genre de scénario dans les jeux vidéo, j’avais donc de très bons réflexes », raconte en souriant le fondateur de l’entreprise Vrvana.
Qu’on se le dise, le créateur du casque de réalité virtuelle Totem, vendu pour une quarantaine de millions de dollars à Apple, sait tout ce qu’il doit à l’univers des jeux. Qu’il s’agisse d’énigmes basées sur la physique ou sur les principes de programmation, ou bien de jeux de poursuite ou de simulation à la SimCity ou à la Civilization, le quadragénaire a réussi à tirer le meilleur de cet univers depuis les années 1980. Il a étoffé ses connaissances pendant ses études de baccalauréat en génie informatique à l’Université de Sherbrooke, puis durant son MBA qui lui a permis de maîtriser le langage des affaires.
Croire en ses projets
Né dans une famille d’entrepreneurs – le grand-père de Bertrand Nepveu possédait l’entreprise qui fabriquait la fameuse eau de Javel La Parisienne –, ce passionné d’ordinateurs lance Vrvana trois ans seulement après l’obtention de son bac. Au début, il cherche surtout à offrir aux adeptes de jeux vidéo un équipement doté de microécrans de très bonne définition, ainsi que des capteurs de mouvements pour la console Xbox 360. L’ingénieur croit à son projet, au point de vivre chichement avec un capital de 200 000 dollars pendant 8 ans, avec deux associés à temps partiel.
En 2013, il projette le film Avatar sur ce casque de réalité virtuelle aux responsables d’Ubisoft, qui s’émerveillent devant le produit. D’autres ingénieurs se joignent à lui pour travailler sur ce prototype, mais les investisseurs se montrent très sceptiques quant à l’essor de la réalité virtuelle, ce qui limite les possibilités financières. Heureusement pour Vrvana, Facebook achète pour trois milliards de dollars la jeune entreprise Oculus, qui a mis au point un casque de réalité virtuelle. Cet événement convainc les financiers, qui dotent la jeune entreprise québécoise d’un budget de 750 000 dollars pour élaborer son projet.
Au Québec, on n’aime pas le risque. Voilà pourquoi j’ai choisi de me concentrer sur la Californie pour trouver de l’argent.
– Bertrand Nepveu, ing. , Fondateur de Vrvana et cofondateur de Triptyq Capital
Un casque polyvalent et futuriste
Passionné autant par la mécanique que par l’électronique et la programmation, le jeune entrepreneur possède tous les outils pour mettre au point un casque léger, équipé de cartes de circuits imprimés habituellement réservées aux ordinateurs portables. Sans oublier l’interface avec les jeux pour s’assurer que l’utilisateur progresse dans son activité.
Persuadé qu’il est possible d’utiliser des caméras au lieu de projecteurs sur des surfaces semi-transparentes pour offrir de la réalité augmentée, Bertrand Nepveu, autodidacte de nature, se forme aussi à l’optique. Avec son équipe, il parvient à passer de la réalité augmentée à la réalité virtuelle en captant les photons de la caméra en temps réel, puis en les projetant sur des écrans. « Cette captation à grand angle à l’aide de lentilles produit cependant un phénomène de distorsion, explique l’ingénieur. L’utilisation d’une puce qu’on a commencé à breveter en 2010 nous a notamment permis de supprimer les aberrations chromatiques. On est ainsi devenus capables de prendre un photon du monde réel en réalité augmentée et de l’afficher dans l’œil de l’utilisatrice ou de l’utilisateur en moins de 15 millisecondes, ce qui est en dessous de la perception de latence du cerveau. »
Un prix lors du Consumer Electronics Show (CES)
Tout cela a permis à Vrvana de procurer aux adeptes de jeux des émotions analogues à la vraie vie dans le monde virtuel, même si le cerveau sait parfaitement qu’il s’agit d’un univers factice. L’entreprise est projetée dans l’univers de grands en 2017. Au salon de l’électronique Consumer Electronics Show (CES), la jeune pousse remporte en effet le prestigieux prix du meilleur produit Tom’s Hardware.
On pourrait imaginer que les investisseurs se seraient précipités pour soutenir la recherche et développement de ce casque révolutionnaire après cette récompense, mais il n’en a rien été. « Au Québec, on n’aime pas le risque, constate Bertrand Nepveu avec le recul. Voilà pourquoi j’ai choisi de me concentrer sur la Californie pour trouver de l’argent ». Mais le marché montre des signes de ralentissement. L’équipe choisit plutôt d’accepter l’offre d’achat d’Apple, une entreprise ayant les ressources suffisantes pour amener le casque à un niveau supérieur.
J’ai envie de mettre à profit tout ce que j’ai appris en Californie pour aider la nouvelle génération d’entrepreneuses et d’entrepreneurs. Cela me permet de combiner les capacités de résolution de problèmes de mon cerveau d’ingénieur avec mes connaissances en finance.
– Bertrand Nepveu, ing. , Fondateur de Vrvana et cofondateur de Triptyq Capital
Un bond dans le monde des grands
Peu de temps après, l’équipe composée de neuf ingénieurs québécois se retrouve plongée dans le mode de fonctionnement d’une multinationale mythique de la Silicon Valley, à laquelle le créateur de Vrvana voue une admiration sans bornes depuis les années de gloire de Steve Jobs. Malheureusement, la réalité d’une entreprise empêtrée dans ses protocoles, et craignant de perdre de fortes sommes en prenant des risques, s’avère bien différente de celle d’une jeune pousse du Québec, carburant à l’audace et à l’ingéniosité.
Cette expérience de 3 ans et demi a appris la patience et l’humilité à l’ingénieur fou de virtuel, qui pense que 80 % des foyers posséderont un tel équipement d’ici 5 ans. Son but demeurait le même : faire de ce casque le produit le plus créatif possible. Il a fallu pour cela résoudre une question d’ingénierie complexe, car le design décidé par Apple interdisait que les caméras se trouvent en face des yeux des personnes portant le casque.
« Pour moi, il s’agit du produit de consommation électronique courante le plus complexe de l’histoire, affirme l’ingénieur, car son utilisation joue sur le cerveau, qui détecte très rapidement les anomalies visuelles. » À force de travail, l’équipe vient à bout d’un problème qui semblait insoluble, et réussit à corriger en temps réel la distorsion issue de la distance entre la caméra et les yeux. Il a en fait fallu estimer les distances auxquelles se trouvent les objets que voit l’utilisatrice ou l’utilisateur et les transformer en quelques millisecondes pour suppléer à la difficulté posée par la forme du casque. Cet apport a été indispensable pour donner vie à Apple Vision Pro.
Entrepreneuriat technologique et capital de risque
Revenu de Californie depuis deux ans, Bertrand Nepveu vient de lancer Triptyq Capital avec deux autres personnes. Ce fonds d’investissement de 40 millions de dollars mise sur les technologies du divertissement dans l’économie des créatrices et créateurs. « J’ai envie de mettre à profit tout ce que j’ai appris en Californie pour aider la nouvelle génération d’entrepreneuses et d’entrepreneurs, confie-t-il. Cela me permet de combiner les capacités de résolution de problèmes de mon cerveau d’ingénieur avec mes connaissances en finance. » Son implication majeure au sein d’Apple lui a donné confiance dans les possibilités du Québec – un important pôle universitaire en génie, déjà riche en industries créatives – à s’imposer dans le domaine du métavers.
Cet homme qui a vendu sa création à Apple faute d’investissement local suffisant rêve de développer de grandes entreprises ici, afin de créer cette extension de la vie réelle non seulement pour jouer, mais aussi pour se former ou converser avec ses proches. Ce modèle se base sur la collaboration et la mise en commun de ressources, comme dans les jeux vidéo!
PARCOURS DE BERTRAND NEPVEU, ing.
- 2000 – Génie informatique
- 2005 – MBA
- 2005 – Fondation de Vrvana
- 2017 – Totem remporte le Best in Show lors du CES
- 2018 – Acquisition du casque Totem par Apple
- 2023 – Cofondation de Triptyq Capital
PALMARÈS DES 5 PRINCIPAUX SECTEURS MONDIAUX EXPLOITANT LA RÉALITÉ VIRTUELLE :
- 1 Jeux vidéo
- 2 Divertissement
- 3 Automobile
- 4 Santé
- 5 Détail
MÉTAVERS
Monde virtuel, immersif et persistant, qui permet la virtualisation des activités humaines, notamment sociales, ludiques, culturelles et commerciales. Le terme métavers est issu de la contraction de méta-univers.
165,91 MILLIARDS US
Projection de la valeur du marché mondial de la réalité virtuelle en 2030 par Fortune Business Insights.