Conversation inspirante : changement de paradigme

Parce que le génie évolue, deux présidentes tracent les grandes tendances en durabilité, innovation et diversité pour façonner son avenir.

Cet article s’inscrit dans la collection « PRATIQUE EXEMPLAIRE ».
Par Emmanuelle Gril, journaliste.


 

Marie-Claude Dumas, ing., présidente de WSP Canada, l’une des plus grandes firmes de génie et de services professionnels du monde, s’est entretenue avec Sophie Larivière-Mantha, ing., présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec, sur les changements dans l’industrie. Un échange passionnant où les deux femmes font le point sur les grandes tendances à surveiller.

Sophie Larivière-Mantha : Marie-Claude, ton parcours est très inspirant, merci d’avoir accepté mon invitation. Tu possèdes une vaste expérience en gestion multidisciplinaire et en services- conseils auprès de plusieurs multinationales. De ton point de vue, de quelle façon le domaine du génie s’est-il transformé au cours des dernières années ?

Marie-Claude Dumas : En raison des changements climatiques et de l’impact de l’environnement sur les ouvrages, aujourd’hui, il faut absolument considérer la durabilité et la résilience des actifs. On pense par exemple aux conséquences des inondations, des tempêtes, etc., tant sur les structures que sur les êtres humains. Les ingénieures et les ingénieurs jouent un rôle central dans la résolution des défis environnementaux et climatiques, et leur expertise est essentielle pour développer des solutions durables.

 

Sophie : La conscience environnementale est une valeur importante pour notre profession. On en parle davantage maintenant, et je m’en réjouis. Le respect de l’environnement est une règle de conduite inscrite dans notre code de déontologie depuis longtemps. Nous faisons partie de la solution.

Marie-Claude : Tout à fait ! Il y a une autre évolution importante : l’intégration de la technologie. L’intelligence artificielle, par exemple, a complètement révolutionné plusieurs industries. En génie, nous n’en sommes encore qu’au début ; la transformation va continuer et s’accélérer. Ce sera très positif, car notre travail comporte plusieurs tâches répétitives qui pourront être automatisées. Nous pourrons nous concentrer encore davantage sur des tâches créant plus de valeur ajoutée.

 

Sophie : Dans ce contexte, quelles sont les compétences dont les ingénieures et les ingénieurs auront besoin dans l’avenir ?

Marie-Claude : Dans notre métier, on peut aussi bien agir comme experte ou expert technique que comme gestionnaire de projet. Dans les deux cas, il est primordial de bien intégrer la perspective des différentes parties prenantes afin de pouvoir proposer la meilleure solution. Par exemple, lorsqu’on conçoit un système de transport, on devrait se demander de quelle façon la génération future va se déplacer, parce que ce sera nécessairement différent. Il faut aussi être en mesure d’expliquer et de vulgariser les solutions techniques que l’on propose. Car lorsque les gens ne comprennent pas, ça peut générer de l’inquiétudes chez les parties prenantes et réduire les chances que le projet aille de l’avant.

 

 

« Le respect de l’environnement est une règle de conduite inscrite dans notre code de déontologie depuis longtemps. Nous faisons partie de la solution. »

Sophie Larivière-Mantha, ing., MBA, ASC

 

Sophie : Les ingénieures et les ingénieurs doivent développer leur capacité de vulgarisation afin que les solutions proposées soient compréhensibles par toutes et par tous. Elles et ils doivent ensuite vérifier que ces solutions répondent effectivement aux besoins identifiés.

Marie-Claude : On doit aussi faire preuve de rigueur et se rappeler que l’enveloppe budgétaire n’est pas illimitée, afin de bien déterminer ce qui est indispensable dans le projet. Pour faire les bons choix, là encore, il faut comprendre les besoins et les inquiétudes chez les parties prenantes et réduire les chances que le projet aille de l’avant. Le travail en équipe est un autre élément essentiel pour que les meilleures idées se réalisent. C’est pourquoi la collaboration interdisciplinaire est si importante.

 

Les défis de la construction de projets majeurs

Sophie : La réalisation de projets de grande envergure est extrêmement complexe et comporte de hauts risques. On voit aussi des écarts notables en termes de délai et de coût. Quel est ton point de vue à ce sujet ?

Marie-Claude : Tout d’abord, lorsqu’il est question de dépassements de coûts et d’échéancier, je crois qu’il faut mettre les choses en perspective. En effet, plusieurs éléments peuvent avoir des répercussions importantes sur un projet, et si cela n’a pas été clarifié dès le départ, il peut y avoir des surprises. D’où l’importance d’avoir un bon dialogue avec les différentes parties prenantes, et ce, dès l’estimation initiale des coûts. Il s’agit d’une étape déterminante. Autre facteur à considérer dans l’équation : lorsqu’on met à niveau des infrastructures existantes, il y a des éléments qui ne pourront être clarifiés qu’une fois la démolition commencée et il pourra y avoir des conséquences sur l’échéancier et les coûts.

 

« En mode collaboratif, on ne pense pas qu’en fonction des coûts de conception et de construction. On tient compte de la durée de vie de l’actif, en considérant les frais liés à l’entretien et l’exploitation. »

Marie-Claude Dumas, ing.

 

 

Les avantages du mode collaboratif

Sophie : On parle de plus en plus souvent de mode collaboratif. Quels sont ses avantages ?

Marie-Claude : Le mode collaboratif est assurément l’une des grandes tendances observées au Canada.

Cette façon de faire rassemble dans une même équipe le propriétaire de l’actif, l’ingénieur et le constructeur dès le début de celui-ci pour que tous participent à la définition et à l’optimisation du projet. Impliquer tous ces joueurs dès le début aide à prendre de meilleures décisions.

En mode collaboratif, on ne pense pas qu’en fonction des coûts de conception et de construction.

On tient compte de la durée de vie de l’actif, en considérant les frais liés à l’entretien et à l’exploitation. Les étapes de conception et d’estimation des coûts sont conséquemment déterminantes pour la suite du projet. Les parties prenantes, telles que le propriétaire, l’ingénieur et le constructeur, vont se réunir pour examiner les différentes options si la première estimation des coûts est jugée trop élevée. Avant même la première pelletée de terre, il sera donc possible d’effectuer la réingénierie et l’optimisation du concept.

Un autre avantage de cette approche est que l’on peut intégrer de nouvelles technologies au projet durant sa réalisation, même si elles n’avaient pas été prévues au départ. Prenons l’exemple de la construction d’un aéroport. Les technologies de sécurité évoluent à un rythme rapide. Afin de garantir une qualité optimale pour le projet, des changements à la conception initiale pourraient être faits lors de leur mise en œuvre.

 

Sophie : Il faut penser à la durabilité des ouvrages pour les générations futures. C’est dommage d’utiliser des technologies obsolètes simplement parce qu’elles sont mentionnées dans le devis initial. Au cours d’un déjeuner-conférence, tu parlais des coachs relationnels dans le mode collaboratif. Peux-tu m’en dire davantage ?

Marie-Claude : Au Canada, dans l’industrie, nous sommes habitués à la façon traditionnelle de faire les choses, laquelle encourage peu la collaboration. Or, si on veut passer en mode collaboratif, il faut modifier nos comportements et intégrer de nouveaux réflexes. C’est pourquoi il peut être utile d’avoir un coach pour nous aider à changer de paradigme. Ce coach est indépendant et contribue au succès du projet en incitant toutes les parties à faire preuve de transparence et à adopter cette nouvelle posture qui consiste à penser au succès commun du projet.

 

Leadership au féminin, diversité et inclusion en génie

Sophie : L’Ordre vise à améliorer la présence des femmes et des personnes issues de la diversité dans la profession. Selon toi, que peuvent- elles apporter au sein des équipes ?

Marie-Claude : Selon moi, ce n’est pas uniquement la présence des femmes ou des minorités qui importe, mais surtout la valorisation de la diversité.

Il faut s’assurer que les membres d’une même équipe ont des profils et des parcours variés, qu’elles et ils ne pensent pas tous de la même façon. En procédant ainsi, on favorise l’innovation et on réduit le risque d’avoir des angles morts.

Au début, être confronté à de nouvelles idées peut générer un certain inconfort et susciter des désaccords au sein d’une équipe. Mais une fois l’adaptation faite, on sera capables d’échanger et de proposer une meilleure solution qui proviendra de toute l’équipe et non d’une seule personne.

 

Sophie : J’aime ton point de vue. On y croit tellement, à l’Ordre, que nous avons produit un guide pour aider les employeurs à développer des plans d’action favorisant l’inclusion.

 

En conclusion

Sophie : Pour conclure, quels conseils donnerais-tu à une jeune ingénieure nommée Marie-Claude Dumas, qui commencerait sa carrière en génie-conseil ?

Marie-Claude : Nous vivons dans un monde de défis, qui est aussi un monde en recherche de solutions. Et le génie, sous toutes ses formes, est résolument un métier de solutions, ce qui en fait une profession formidable !

Je lui dirais aussi de croire en ses capacités et de ne jamais cesser d’apprendre. Progresser dans une carrière veut aussi dire changer de poste. Cela peut être inconfortable au début, car on perd ses repères, mais il faut se faire confiance. Enfin, je lui conseillerais d’avoir l’esprit curieux et d’être ouverte aux nouvelles idées. Et surtout, il faut aimer ce que l’on fait, car quand on est passionnée, tout devient plus facile et plus stimulant.

 

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MINIBIO

Sophie Larivière-Mantha, ing., MBA, ASC

Présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis 2022,

Sophie Larivière-Mantha s’est fixé trois priorités sur lesquelles elle désire intervenir durant son mandat : la surveillance des travaux, le développement durable et la place des femmes en génie.

Marie-Claude Dumas, ing.

Marie-Claude Dumas est la présidente de WSP au Canada, l’une des plus grandes firmes de génie et de services professionnels du monde. Ingénieure de formation, elle dirige une organisation en pleine croissance et place les employés, les clients et l’innovation en tête de ses priorités. Elle détient une expérience multidisciplinaire dans l’industrie du génie-conseil ainsi que dans la gestion de projets majeurs, et ce, tant au Canada qu’à l’étranger.

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