Se donner les moyens de ses rêves
Cet article s’inscrit dans la collection « Parcours entreprise ».
Par Pascale Guéricolas
Photos : Denis Bernier
En 2016, Frédéric Léveillé-Guillemette revient du Pérou, où il a participé à la construction d’une serre solaire passive dans un village au climat désertique. Ce projet, en lien avec l’association étudiante Serre ÉTS, vise à mettre au point des technologies adaptées aux besoins des organismes en agriculture urbaine. Cet engagement va comme un gant à cet étudiant en génie mécanique à l’École de technologie supérieure, qui privilégie des solutions adaptées aux demandes réelles des agriculteurs urbains, plutôt que la conception d’outils technologiques à grand prix.
« Après avoir fait des stages en entreprise, je me sentais un peu comme une “bibitte” du développement durable, pas très à l’aise dans un milieu de travail surtout orienté vers la recherche de profits », admet le trentenaire. Plusieurs de ses camarades partagent cette ambivalence quant à leur avenir professionnel. Ensemble, ils et elles consultent la Boussole entrepreneuriale, un outil d’orientation pour la création d’entreprises, et soudain tout s’éclaire : les coopératives de travail, un modèle qui leur était inconnu jusqu’alors, correspondent à leurs valeurs sociales!
Choisir son mode de travail
Un groupe composé de huit jeunes, encore aux études ou ayant récemment obtenu un diplôme, découvre avec ravissement un type de fonctionnement différent de celui de l’entreprise traditionnelle, et se mobilise rapidement. Les jeunes participent à un programme d’aide au démarrage de trois mois mis sur pied par une fédération qui soutient le développement et la reconnaissance de la coopération de travail au Québec, Réseau Coop, qui les familiarise avec les règles propres à ce domaine. En 2017, la coopérative ALTE, pour Autonomie locale en technologies environnementales énergétiques et équitables, voit le jour, en harmonie avec la vision de la profession des personnes qui l’ont fondée.
En premier lieu, le groupe convient que chaque membre décide du nombre d’heures consacrées à la coopérative. Frédéric Léveillé-Guillemette entreprend alors une maîtrise en efficacité énergétique portant sur l’analyse du cycle de vie de serres utilisant différentes formes d’énergie, tout en participant à la naissance d’ALTE. Aujourd’hui, c’est lui qui fournit le plus grand nombre d’heures à la coopérative en y travaillant 30 heures chaque semaine. « Je dispose d’un congé hebdomadaire de trois jours, explique ce partisan de la décroissance, maintenant ingénieur. C’est important pour moi de me consacrer à d’autres projets et de pouvoir m’occuper de mes deux enfants en bas âge. » Quelques membres de la coopérative participent à la constitution d’un écovillage à Saint-Adrien, en Estrie, basé lui aussi sur la coopération, tandis que d’autres poursuivent leurs études ou enseignent, par exemple.
« Les décisions sur l’avenir de la coop se prennent ensemble. Parfois, cela prend plus de temps, mais cela réduit la résistance au changement et nous procure une croissance plus assurée. » — Frédéric Léveillé-Guillemette, ing. — coopérative d’ingénierie ALTE
Offrir des services abordables
Cette souplesse et cette flexibilité correspondent à une vision de l’emploi souvent exprimée par des finissants et finissantes en génie ou par des gens d’expérience à la recherche d’une plus grande implication sociale. D’autant plus que la coopérative ne se limite pas à fournir des conditions de travail agréables à ses membres. Elle offre souvent ses services, à petit prix ou même gratuitement, à une clientèle qui n’a pas forcément les moyens de s’adresser à des cabinets-conseils classiques, en favorisant l’autonomie des communautés.
Au fil des ans, ALTE a ainsi conçu de nombreuses serres solaires passives, et a accompagné des coopératives d’habitation soucieuses d’améliorer la performance énergétique de leur bâtiment, en changeant leurs fenêtres ou en corrigeant les problèmes de ventilation. « C’est important pour nous d’être là dès le début des discussions, pour laisser une place à l’humain dans les réflexions, souligne Frédéric Léveillé-Guillemette. On peut aussi assurer la surveillance des plans et devis, et rappeler à l’ordre les gens exécutant les travaux, à l’occasion. Plusieurs de nos clients bénéficient de subventions versées seulement à des projets contribuant à réduire les GES, et il faut donc veiller à leur bonne réalisation. »
Une croissance assurée
Le fait que la coopérative regroupe des ingénieures et ingénieurs qui ont souvent une expertise annexe, en architecture par exemple, contribue à rendre leurs services encore plus intéressants. Chaque membre de ALTE gère son propre projet dans son secteur d’activité, ce qui donne davantage de pouvoir à chacun. Des rencontres au sein d’un comité de coordination facilitent aussi les échanges et rendent le poste de direction générale inutile. « Les décisions sur l’avenir de la coop se prennent ensemble, indique l’ingénieur en génie mécanique. Parfois, cela prend plus de temps, mais cela réduit la résistance au changement et nous procure une croissance plus assurée. De cette façon, tout le monde va dans le même sens. »
Ce modèle autogéré mise aussi sur l’équité : la coop applique une grille salariale unique, que les personnes accomplissent des mandats d’ingénierie ou de soutien administratif. Une approche cohérente avec la vision sociale du rôle des ingénieures et ingénieurs en vigueur chez ALTE, que Frédéric Léveillé-Guillemette met en pratique en participant à Feu vert à la radio de Radio-Canada. En collaborant à une émission portant sur les enjeux environnementaux, il conjugue deux passions, l’une pour le génie, et l’autre pour le partage du savoir.
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