Imprimer sa maison : une nouvelle solution durable ?
LE DÉBUT D’UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE?
Un bras robotisé se pose là où le premier mur de la maison doit être bâti. La pompe entre en fonction et la buse de l’imprimante dirige les matériaux à l’endroit fixé. Lentement, les couches de béton se déposent l’une sur l’autre comme autant de couches géantes de spaghettis. Peu à peu, l’enveloppe de béton prend forme, avec précision, jusqu’à correspondre à la figure illustrée sur le plan. En moins de 24 heures, l’enveloppe d’une maison surgit de terre.
Cette scène ne relève pas de la science-fiction. Elle se répète de plus en plus souvent dans le monde. Et bientôt, elle deviendra courante ici, au Québec, grâce à l’initiative d’ingénieures et d’ingénieurs comme David Laliberté (voir l’encadré). Ce dernier, ingénieur en génie mécanique, s’intéresse depuis plusieurs années à ce nouveau processus de construction, sans coffrages, qui pourrait contribuer à résoudre la crise du logement en accélérant la réalisation de nouvelles habitations, qui seraient de surcroît construites avec moins de personnel, engendrant une économie de coûts. Évidemment, cela reste des hypothèses à vérifier, ce pourquoi le Regroupement innovant pour l’impression d’immeubles durables (RI3D-FRQNT) a vu le jour avec la mission d’explorer ce domaine en pleine gestation. Ce groupe de chercheurs et chercheuses aux expertises distinctes a mis en place un laboratoire de recherche, de développement et de transfert technologique dédié à l’impression 3D pour la construction. Outre la conception et l’automatisation d’une méthodologie d’impression, de transport et d’assemblage d’un bâtiment modulaire de même que la simplification des murs, ils et elles cherchent à diminuer les impacts environnementaux, que ce soit par la création de matériaux à faible empreinte ou par l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments conçus.
DES MAISONS PLUS VERTES
La communauté scientifique s’intéresse à la façon dont il faut revoir la composition des bétons imprimables pour réduire leur empreinte carbone, un aspect critiqué du mode de construction en impression 3D qui n’utilise pas de bois, un matériau considéré comme plus durable. Si les dernières recherches ont permis d’élaborer des recettes pour diminuer le taux de CO2 du béton imprimable, l’équipe du RI3D-FRQNT cherche, quant à elle, des matériaux pour remplacer la poudre par d’autres ingrédients comme du chanvre, des cendres volantes, de l’argile calciné et du verre broyé, ou encore pour en améliorer les propriétés, comme les géopolymères et les algues rouges, par exemple, qui baissent l’empreinte du ciment tout en améliorant sa consistance. Une équipe de l’université de Sherbrooke propose, elle, d’utiliser de l’argile crue ou de la poudre activée pour éliminer carrément l’utilisation du ciment. Les solutions sont à portée de main, et la communauté scientifique québécoise s’y penche assurément avec passion.
UNE PREMIÈRE MAISON IMPRIMÉE AU QUÉBEC
Les scientifiques du RI3D-FRQNT travaillent actuellement sur la construction d’un jumelé d’environ 1 200 pieds carrés de surface au sol, une première du genre au Québec. Les appartements, qui seront sans doute construits à l’automne 2025, devraient faire le bonheur de deux familles choisies par Habitat pour l’humanité Québec, un organisme qui aide les familles québécoises aux revenus modestes à combler leurs besoins en logements abordables.
C’est un projet de recherche-action intégrateur. Actuellement, les renseignements sur ce processus de fabrication viennent essentiellement des entreprises qui produisent les imprimantes. Les informations ainsi rassemblées sur ce projet vont donc permettre aux 20 000 membres de l’APCHQ de disposer d’une base de données solide avant de se lancer dans l’impression 3D.
David Laliberté, ing.
Pour l’instant, il n’est pas question d’imprimer tous les bâtiments en 3D, mais d’offrir une option supplémentaire. Ce projet de construction pour Habitat pour l’humanité Québec va aussi permettre de tester les limites du Code du bâtiment par objectifs, puisqu’il s’agit d’un nouveau modèle de réalisation. En effet, il n’y a pas de normes directement liées à l’impression 3D en ce moment. Cela demande aux personnes impliquées sur le projet de réfléchir et de bien comprendre la norme pour, ensuite, la rencontrer dans le cadre de l’impression 3D.
Bref, un projet inspirant (et gagnant) à tous les niveaux.
UNE SOLUTION À DE MULTIPLES ENJEUX
Pour contourner les limitations causées par l’hiver québécois et les risques que le béton gèle au sortir de la pompe, David Laliberté préconise une construction modulaire en usine avant de transporter les murs sur place. Une avenue qui répond certes à la question de la météo, mais qui comporte aussi son lot d’avantages.
L’impression 3D utilisée dans un contexte de préfabrication pourrait présenter de nombreux bénéfices, note l’ingénieur. Comme il s’agit d’un mode de fabrication hautement automatisé, on gagne beaucoup de temps, ce qui permet de produire plus de logements par travailleuse et travailleur. C’est un avantage indéniable en ces temps de pénurie de personnel. D’autre part, ce mode de construction optimise la structure et peut produire des murs aux formes arrondies sans limitation.
David Laliberté, ing.
Le fait de travailler en usine assure un meilleur contrôle, par exemple pour l’installation des fenêtres. Cependant, ce mode de construction amène aussi son lot de difficultés techniques, en particulier concernant la capacité hygrothermique des murs.
Défi auquel David Laliberté et son équipe tentent de répondre, pour que l’impression 3D au Québec devienne assurément de l’ordre du possible.
« Ce nouveau processus va permettre au Québec de se transformer.
Si nous en sommes présentement à l’étape des premiers utilisateur·trices (early adopters), je rencontre constamment des gens qui sont en train de développer la technologie et qui veulent pousser l’innovation encore plus loin.
C’est un champ de recherche qui pourrait amener des solutions tangibles à différents enjeux de société, comme la crise du logement et l’environnement. Et je suis vraiment content de participer à l’élaboration de cette nouvelle façon de penser les maisons. »
David Laliberté, ing.
Enseignant en technologie de la maintenance industrielle au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue
Directeur principal du regroupement RI3D-FRQNT
David Laliberté est ingénieur en génie mécanique, formé conjointement à l’Université de Sherbrooke et à l’EPF de Sceaux (Paris), et titulaire d’un MBA de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il a dirigé de 2013 à 2018 l’usine de Technosub, une entreprise qui fabrique et conçoit des systèmes de pompage. Depuis 2018, il enseigne la technologie de la maintenance industrielle au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue.
C’est en 2018 que David Laliberté s’intéresse à la construction automatisée et à l’impression 3D. Un intérêt qui l’amène à s’entourer des meilleurs experts et expertes du réseau collégial et universitaire pour explorer les multiples possibilités de cette nouvelle technologie en mettant sur pied RI3D-FRQNT. Entouré d’une équipe de spécialistes multidisciplinaires, il cherche à définir les paramètres de l’impression 3D pour l’appliquer à des projets écologiques, économiques et sociaux qui vont révolutionner l’industrie de la construction au Québec.