Jeunes en entrepreneuriat
Cet article s’inscrit dans le dossier « Entrepreneuriat ».
Par Mélanie Larouche
L’aménagement du territoire
J’avais envie de bâtir quelque chose pour avoir les deux mains sur le volant, de travailler pour une organisation qui me ressemble. Alors je l’ai créée.
Sean Tassé, ing. — LEMNY
L’Ordre a dévoilé en novembre les résultats de l’étude qu’il a menée sur l’entrepreneuriat en génie et l’écosystème qui le caractérise. Les faits saillants de cette étude figurent dès à présent aux pages 38 et 39 de ce numéro de Plan. Cependant, l’étude L’ingénieur d’aujourd’hui et de demain indiquait en 2021 que 50 % des étudiants en génie ont l’intention de fonder leur entreprise en cours de carrière. En comparaison, cette proportion s’élève à 31 % pour l’ensemble de la population québécoise des 18-34 ans.
Pour illustrer cette tendance et comprendre en partie ce qui l’explique, trois jeunes membres de l’Ordre ont accepté de faire part de leur histoire entrepreneuriale.
Sortir des sentiers battus
Le synchronisme est souvent un facteur déterminant dans bien des situations. Pour Sean Tassé, ing., c’est la pandémie qui a motivé sa volonté de se lancer en affaires. Il avait déjà ça dans le sang, mais c’est le contexte de la crise sanitaire qui a réveillé son instinct entrepreneurial.
Titulaire d’un DEC en aménagement et urbanisme et de deux baccalauréats, un en génie et un en droit, Sean Tassé a choisi de faire carrière dans le domaine de la construction. Ayant une expertise dans la construction résidentielle lourde, il a travaillé pour d’importants acteurs de cette industrie. « Lorsque la pandémie de COVID-19 a entraîné une fermeture temporaire des chantiers, je me suis dit : “Pas question de rentrer chez moi pour retirer la prestation canadienne d’urgence (PCU), je vais plutôt m’impliquer pour apporter des solutions”, explique-t-il. J’avais envie de bâtir quelque chose pour avoir les deux mains sur le volant, de travailler pour une organisation qui me ressemble. Alors je l’ai créée. »
Dès le départ, Sean Tassé a su bien s’entourer pour lancer son projet, en 2020. Deux frères, des entrepreneurs aguerris qu’il a connus lorsqu’il travaillait en construction, ont accepté de lui emboîter le pas pour le démarrage de Bien Aller, une petite entreprise de fabrication de masques réutilisables. Il a ainsi pu bénéficier de leur expérience, de leurs précieux conseils et de leur réseau de contacts. « Nous avons trouvé un manufacturier chinois pour fabriquer les masques, souligne-t-il. Dès la première année, nous avons enregistré des revenus de 3,5 millions de dollars. Aujourd’hui, je suis l’unique propriétaire de l’entreprise, après avoir racheté toutes les parts. L’entreprise est présentement en processus de transfert de propriétaire. »
Savoir s’entourer
Sur la base de cette première expérience réussie, Sean Tassé et ses deux mêmes partenaires ont lancé en 2021 SquareFeet.ai, un outil numérique basé sur l’intelligence artificielle qui permet de fixer le prix des logements. « Après un an, nous avions créé assez de valeur pour attirer un consortium d’évaluateurs agréés qui a acheté l’entreprise. Puis, avec l’aide d’Alexandre Bourdon, ing., et Alexandre Verlaan, ing., j’ai cofondé LEMNY, une compagnie de gestion de projet et de surintendance de construction. C’est ma grande force, alors j’ai choisi de miser là-dessus pour m’accomplir professionnellement. Je suis allé chercher des amis de longue date, eux aussi ingénieurs, qui ont des expertises complémentaires pour se lancer dans cette aventure. » Pour Sean Tassé, la clé du succès en affaires, c’est de savoir s’entourer de bons partenaires dont l’expérience et les compétences contribueront à l’atteinte des objectifs visés et de saisir des occasions au moment opportun.
Respecter ses valeurs
De fortes valeurs environnementales sont à l’origine du projet entrepreneurial de Jean-David Lantagne, CPI. Ce jeune passionné de sciences et de technologies est cofondateur de Hoola One Technologies, spécialisée dans le développement de solutions pour les écosystèmes affectés par la pollution plastique. « L’entrepreneuriat me permet de mener ma carrière selon mes propres règles et ma mission personnelle, celle de mettre l’ingénierie au service de l’environnement », confie-t-il.
C’est tout naturellement que Jean-David Lantagne s’est dirigé vers l’ingénierie à l’Université de Sherbrooke. « Dans le cadre de mes études, j’ai eu l’occasion de mettre sur pied un projet qui faisait beaucoup de sens à mes yeux, en lien direct avec mes valeurs profondes, un projet qui sert vraiment à quelque chose, raconte-t-il avec enthousiasme. Avec 12 autres collègues, nous avons mis au point une technologie de collecte du plastique. Nous avons envoyé notre prototype à Hawaï, là où se trouve la plage la plus polluée du monde, en raison des courants marins qui y accumulent les déchets de l’océan. »
Jean-David Lantagne et trois de ses collègues se sont dit qu’ils avaient là une occasion unique d’avoir une réelle incidence sur l’environnement en réalisant un projet concret et viable. « On s’est fait accompagner par l’Université de Sherbrooke et des incubateurs d’entreprises, dont Espace-inc, qui nous ont aidés à trouver des marchés rentables, liés à la cause environnementale, explique-t-il. Il faut savoir que le programme en génie de l’Université de Sherbrooke est très centré sur l’entrepreneuriat, il mise beaucoup sur la recherche appliquée, proche de l’industrie.»
Les jeunes fondateurs de Hoola One Technologies ont aussi eu le soutien de Createk. « En remportant le concours Createk, nous avons obtenu une bourse de 20 000 $ et un accompagnement pendant une année, souligne Jean-David Lantagne. On nous a aidés à structurer l’entreprise, à mettre en place notre modèle d’affaires et à trouver du financement. »
Hoola One Technologies est maintenant installée à Québec. Les jeunes gestionnaires bénéficient de l’accompagnement des incubateurs d’entreprises CAMP, via le programme Traction, et 2 Degrés. « Auparavant, ma vision de l’entrepreneuriat était erronée, je croyais ce choix basé seulement sur l’argent, admet-il. Maintenant, je sais que c’est une façon de se réaliser professionnellement et personnellement. Le profit est un résultat secondaire, non pas le but ultime. Nos motivations sont bien plus profondes que ça. »
Auparavant, ma vision de l’entrepreneuriat était erronée, je croyais ce choix basé seulement sur l’argent. Maintenant, je sais que c’est une façon de se réaliser professionnellement et personnellement.
Jean-David Lantagne, CPI — Hoola One Technologies
Je me suis lancée dans le vide, sans avoir de soutien au départ. C’est seulement dans un second temps que je suis allée chercher l’aide d’accélérateurs technologiques, à Montréal.
Caroline Arnouk, ing. — OPA Technologies
Agir sur son milieu
Ingénieure en génie civil et titulaire d’une maîtrise en gestion des infrastructures, Caroline Arnouk a fondé OPA Technologies dans le but d’apporter des changements dans la coordination des travaux routiers et d’agir concrètement pour faciliter le quotidien des gens.
« J’ai choisi le génie civil parce que je veux aider la société, explique-t-elle d’entrée de jeu. J’ai toujours eu en moi ce désir de contribuer à améliorer la société. J’aime le génie civil parce que c’est concret, et on bâtit des infrastructures. »
Caroline Arnouk a travaillé à la coordination de projets au Service de l’eau de la Ville de Montréal pendant quelques années. « Cette expérience m’a rapidement fait réaliser qu’à Montréal comme partout ailleurs, la gestion des projets concernant les infrastructures manquait cruellement de coordination. La vision géospatiale d’un projet est primordiale, mais pourtant négligée. C’était justement mon sujet de maîtrise. Être pris dans la circulation a de nombreux inconvénients : retards, réduction de la productivité et perte de qualité de vie, etc. Les chantiers requièrent généralement des fermetures de rues, et l’information n’est pas toujours à jour. Cela a des répercussions sur l’environnement, les autres usagers et les différents modes de transport. »
Caroline Arnouk a lancé son entreprise en 2015, soit quatre ans après l’obtention de son diplôme. « J’ai quitté un bon emploi parce que je croyais vraiment à mon idée, mentionne-t-elle. Je me suis lancée dans le vide, sans avoir de soutien au départ. C’est seulement dans un second temps que je suis allée chercher l’aide d’accélérateurs technologiques, à Montréal. On m’a beaucoup aidée en me donnant des outils et un modèle d’affaires ; c’est une belle communauté qui s’est créée. »
Aujourd’hui, OPA réunit une équipe de 20 personnes et commercialise depuis peu son logiciel géospatial aux États-Unis. « Nous sommes parmi les premiers à commercialiser un logiciel infonuagique géospatial, nous sommes des pionniers dans notre domaine, indique Caroline Arnouk. Nous venons d’obtenir un brevet pour le dessin industriel de notre logiciel après trois ans d’études par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Cela certifie que nous avons créé une innovation dont nous sommes très fiers ! Il y a un réel besoin, et nous avons réussi à mettre au point des fonctionnalités très innovantes. Nous nous adressons à la clientèle des municipalités. La pandémie a accéléré l’adoption de la technologie, les gens sont plus réceptifs à la technologie qu’avant. »
S’accomplir
Sean Tassé, Jean-David Lantagne et Caroline Arnouk s’entendent pour dire que leur choix repose sur une volonté d’apporter des solutions à des problèmes réels, d’améliorer les choses et de permettre aux gens de gagner en efficacité. C’est sur cette vertueuse prémisse que les nouvelles générations d’entrepreneurs et entrepreneures issues du génie entendent mener leur carrière et s’accomplir à la fois professionnellement et personnellement. Dans leur vision d’avenir, les notions de développement durable, bien loin devant les visées mercantiles, semblent incontestablement au coeur de leurs ambitions. « Les ingénieures et ingénieurs sont des gens passionnés et ambitieux, qui croient en leur capacité de contribuer à changer les choses positivement », conclut Caroline Arnouk.
En savoir plus
Lire la revue Plan Novembre-décembre 2022
Lire l’étude l’entrepreneuriat en génie au Québec et son écosystème