Jumeau numérique : Une usine plus performante
Cet article s’inscrit dans le dossier « Industrie 4.0 ».
Par Mélanie Larouche
À Polytechnique, nous avons mis sur pied un laboratoire
prototype simulant un entrepôt connecté auquel on a greffé un jumeau numérique.— Soumaya Yacout, ing. — Polytechnique Montréal
«La technologie du jumeau numérique est puissante, elle aurait permis d’éviter l’accident grave survenu au cours de la mission Apollo 13 ; elle aurait aussi pu épargner les conséquences humaines et environnementales dramatiques dans le cas de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique, indique Soumaya Yacout, ing., professeure titulaire au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal. Le jumeau numérique aurait repéré les risques avant même que les problèmes ne surviennent pour Apollo 13 et il aurait proposé en quelques minutes un scénario pour les résoudre à distance. Dans la réalité, les équipes au sol ont mis un temps précieux à faire diverses expérimentations à terre pour donner ensuite leurs directives aux astronautes en attente de solutions. Pour la plateforme pétrolière, les problèmes se sont produits alors que les personnes sur place effectuaient des tests de sécurité pour voir comment les installations réagissent à diverses situations.
Avec un jumeau numérique, on aurait fait tous ces tests en mode numérique, sans aucune intervention directe sur les installations réelles. »
L’union fait la force
L’industrie 4.0 utilise les technologies de l’internet des objets et de l’intelligence artificielle (IA), qui existent l’une sans l’autre, mais qui deviennent extrêmement performantes une fois réunies. « Leur connectivité, jumelée à la collecte d’une énorme quantité de données, permet désormais aux entreprises de réaliser des gains considérables, souligne la professeure Yacout. Prenez par exemple le modèle GAFAM (Google, Apple, Facebook [Meta], Amazon, Microsoft) ; ces compagnies de services ont exploité ces deux aspects, la connectivité et l’IA, pour faire des milliards de dollars. Elles ont mis au point des logiciels qui établissent cette connectivité, à leur grand bénéfice, pour améliorer leur service à la clientèle et en tirer largement des profits. C’est ça, l’industrie 4.0 dans le monde des services. Les GAFAM nous ont présenté quelque chose qui n’existait pas auparavant, et qui leur permet aujourd’hui de mieux comprendre les clients, d’analyser leurs comportements, de les attirer et de les rendre autonomes dans leur consommation de biens et services. Il s’agit d’un nouveau modèle d’affaires. »
De la valeur ajoutée
« Pour créer un jumeau numérique, on prend tout notre environnement physique et on en fait une version virtuelle, capable de faire la simulation de tout un procédé avant de l’intégrer en mode réel, explique Éric Lépine, consultant en industrie 3.0-4.0. Cette technologie réduit les différents risques, que ce soit en termes de sécurité ou de problème. Le jumeau numérique est en mesure d’intégrer tous les systèmes ; on peut alors se connecter pour valider l’ensemble des installations. Il entraîne des gains importants, notamment sur le plan de l’efficacité énergétique, de la productivité et de la réduction de risques, et il sert aussi à la formation et à l’acquisitions de données. Il apporte une grande valeur ajoutée dans une entreprise. Dans le secteur manufacturier, on s’en sert beaucoup pour rendre une usine plus performante, gérer efficacement la maintenance des machines et la qualité de l’environnement. »
Le jumeau numérique entraîne des gains importants, notamment sur le plan de l’efficacité énergétique,
de la productivité et de la réduction de risques.— Éric Lépine — Consultant
Dans un avenir proche
Selon Soumaya Yacout, de grandes entreprises réfléchissent présentement aux façons de rendre les machines encore plus intelligentes, pour qu’elles « se parlent » entre elles et « parlent » avec les humains afin que tout soit automatisé et géré jusqu’en amont de la chaîne d’approvisionnement. « Il n’est pas si loin le jour où l’on verra des changements se faire directement sur les chaînes de production, en réaction instantanée aux comportements des clients, prédit-elle. Pour les voitures par exemple, selon les goûts et les choix d’achats faits par la clientèle dans les différentes régions, les lignes de production pourront s’adapter d’elles-mêmes à la demande en temps réel. Les machines mettront automatiquement en œuvre des modifications pour se coller à la réalité du marché. Dans le secteur de l’alimentation, ce sera pareil sur les tablettes des épiceries. Des capteurs numériques approvisionneront les stocks en lien direct avec les choix des consommateurs. Les ajustements se feront directement auprès des différents fournisseurs et à travers tous les maillons de la chaîne, sur la base des données réelles du marché. »
Réseau 4.0
Avec le soutien de la Fondation canadienne pour l’innovation, le projet de Réseau 4.0 CEOSnet a vu le jour au Québec. Ce projet, évalué à quelque 11,5 millions de dollars, est mené conjointement par Polytechnique Montréal, l’École de technologie supérieure, les universités de Sherbrooke, Concordia, Laval et du Québec à Montréal (UQAM), Productique Québec (le centre collégial de transfert de technologie du Cégep de Sherbrooke) et le centre d’intelligence appliquée JACOBB. Il consiste à créer un réseau mettant tous ces établissements et organismes en lien, selon la formule d’industrie 4.0. Ainsi, tous sont interconnectés dans un objectif d’échanges de données. Chacun a créé son propre laboratoire, dans son domaine respectif. « À Polytechnique, nous avons mis sur pied un laboratoire prototype simulant un entrepôt connecté auquel on a greffé un jumeau numérique, mentionne Soumaya Yacout.
Ce banc d’essai nous permet d’introduire des erreurs et des catastrophes pour voir comment le jumeau numérique corrigera ça, sans interface humaine. Il nous permet aussi d’étudier le comportement humain en collaboration avec les machines, pour ce qui concerne l’adaptation aux nouvelles technologies. Éventuellement, les industriels pourront venir nous visiter ; nous allons leur montrer ce qu’ils peuvent accomplir avec ce laboratoire 4.0, chacun selon son modèle d’affaires. Ultimement, nous pourrons faire l’essai pour eux, cela pourra devenir un service offert aux entreprises. Nous sommes très avancés et très enthousiastes ! »