Le pouvoir décontaminant de l’eau supercritique
Cet article s’inscrit dans la collection « Transition écologique ».
Par Valérie Levée
En 2014, Jean-François Vermette, biophysicien qui travaillait au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI), associé au Cégep de Sorel-Tracy, se rend en France écouter une conférence sur les fluides supercritiques et décide de rapporter la technologie de décontamination par oxydation hydrothermale au Québec. De retour au CTTÉI, il teste le procédé à l’aide d’un réacteur à l’échelle du laboratoire sur des médicaments, des plastiques conta minés par des huiles, des résidus de papetières qui contiennent des mélanges de plastique et du bois, des résidus de peinture. Les résultats s’annoncent si pro metteurs qu’on entreprend la construction d’un réacteur à l’échelle pilote. Entre-temps, François Lemoine, ing., arrive au CTTÉI pour prendre la suite des travaux de Jean-François Vermette. Ayant un profil d’ingénieur en génie chimique, il perfectionne les méthodes de recherche. « Nous avons fait des tests sur une multitude de résidus organiques, et toute forme de carbone semble pouvoir être oxydée par l’oxydation hydrothermale », indique François Lemoine. Et l’oxydation de tous ces polluants à base de carbone aboutit essentielle ment à un composé, de l’acide acétique, autrement dit du vinaigre blanc, lui-même biodégradable par des bactéries. Le procédé à échelle pilote est inauguré en 2021 et devient opérationnel à l’été 2023.
« Si la matière à décontaminer est trop peu concentrée dans l’eau, il faut la mélanger avec d’autres matières résiduelles chargées en carbone pour éviter d’avoir à préchauffer les intrants. »
François Lemoine, ing. — CTTÉI
Comment est-ce possible?
La réaction d’oxydation ne demande que de l’eau, de l’oxygène et de la chaleur. Pas de produits chimiques nocifs pour la santé ou l’environnement. La clé du procédé est de chauffer l’eau sous pression pour atteindre un état supercritique. Lorsque de l’eau est chauffée à plus 100°C à la pression normale, elle passe en phase gazeuse. Mais si on chauffe l’eau tout en augmentant aussi la pression, l’eau atteint le stade de fluide supercritique, un état intermédiaire entre la vapeur d’eau et l’eau liquide. « Le fluide a des propriétés du gaz et du liquide en même temps, explique François Lemoine. À ces hautes température et pression, l’eau est un gaz très dense. » Cet état de l’eau lui permet de solubiliser des matières qui autrement ne seraient pas miscibles dans l’eau. Les polluants à décontaminer, ainsi solubilisés dans l’eau supercritique, deviennent facilement accessibles par l’oxygène pour être oxydés.
Que faire de la chaleur?
Le procédé fait ses preuves pour décontaminer les polluants carbonés, mais pour le rendre économiquement rentable, un problème demeure car la réaction est exo thermique. C’est a priori une bonne nouvelle, car cette chaleur peut être valorisée là où on en a besoin et, en l’occurrence, dans le procédé lui-même puisqu’il faut chauffer l’eau. Si le procédé génère la juste quantité de chaleur pour s’alimenter, cela permettra des économies d’énergie et contribuera à la rentabilité économique.
Or dans les essais réalisés avec les effluents hospitaliers, la charge en matière carbonée était insuffisante pour générer assez de chaleur et alimenter le processus. « Si la matière à décontaminer est trop peu concentrée dans l’eau, il faut la mélanger avec d’autres matières résiduelles chargées en carbone pour éviter d’avoir à préchauffer les intrants », précise François Lemoine.
Inversement, si le procédé génère plus de chaleur que nécessaire, il faut trouver où valoriser l’excédent. C’est le cas avec les boues des étangs aérés de Sorel Tracy. Le dragage étant effectué une fois par quelques dizaines d’années, la décontamination générerait ponctuellement une forte quantité de chaleur et il ne serait pas rentable de concevoir une infrastructure pour utiliser cette chaleur disponible ponctuellement seulement. En l’absence de valorisation de la chaleur, il faut l’abaisser en dessous de 65 °C pour la disperser dans l’environnement, ce qui augmente les coûts du procédé. « Certaines municipalités ont des systèmes qui génèrent des boues tous les jours, observe François Lemoine. Ce serait plus facile d’y appliquer notre procédé. »
Une solution prometteuse sur laquelle travaille actuellement l’ingénieur est de marier l’oxydation hydrothermale à un procédé industriel qui génère des résidus carbonés et qui requiert de la chaleur. C’est le cas des papetières. « Nous sommes capables de traiter tous les résidus des usines de pâtes et papiers, et la chaleur est récupérée dans leur procédé », rapporte François Lemoine. Les usines de biométhanisation offriraient aussi des possibilités intéressantes.
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- Lire la revue Plan, Novembre-décembre 2023