Maud Cohen, ing., FIC, MBA, ASC : Polytechnique version féminine
Cet article s’inscrit dans la collection « Génie à la une ».
Par Pascale Guéricolas, photos : Denis Bernier, Benedicte Brocard
À l’automne 1989, la jeune Maud Cohen s’interroge sur son avenir. Elle avait longtemps rêvé de médecine, mais sent peu d’affinités avec la biologie après une année au cégep, même si elle apprécie beaucoup les maths et la physique. Survient alors en décembre la tragédie de Polytechnique. Ébranlée par le drame, elle découvre aussi du même coup une profession dont elle avait très peu entendu parler. « À cette époque, les choix pour les filles en sciences se limitaient souvent aux professions de la santé ou à la comptabilité quand on aimait les mathématiques » se souvient-elle.
Tout le bruit autour de cette école où des femmes étudiaient en génie m’a donné envie de me lancer dans ces études. » Voilà donc comment cette première de classe, élevée à Saint-Louis-de-Terrebonne – une banlieue où la forêt n’avait pas encore disparu –, se retrouve propulsée dans la grande ville. L’atterrissage ne se fait pas forcément en douceur. Éblouie par sa nouvelle liberté, l’étudiante mord à pleines dents dans la vie sociale, s’implique dans des associations, découvre la fête… et constate que les bonnes notes ne sont plus au rendez-vous. Certaines auraient peut-être abandonné le génie à ce stade. Pas la future directrice de Polytechnique Montréal. Elle y puise plutôt une motivation pour relever ses manches et poursuivre son cheminement scolaire.
J’ai trouvé très pertinent d’approfondir mes connaissances en gestion, pour raffiner certaines notions comme la stratégie organisationnelle, la gestion financière, les habiletés de gestion.
Maud Cohen, ing., FIC, MBA, ASC — Polytechnique Montréal
Toujours rebondir
Cette leçon de résilience, la jeune Maud Cohen l’a mise en pratique dès l’école secondaire dans les années 1980. Parfois rejetée par ses camarades parce qu’elle est trop studieuse, l’adolescente expérimente l’adversité. Elle dispose cependant d’une alliée de taille, sa cousine, qui vit non loin de chez elle, et elle se fait de nouvelles amies. Bien intégrée dans un clan familial tissé serré, la jeune fille comprend la force que représentent les liens développés avec les autres pour recevoir du réconfort ou tester ses idées. Elle applique cette philosophie de vie dès ses premières années de génie. Comment ? En prenant sa place au sein d’un groupe, des amis et amies qui l’accompagnent toujours plusieurs décennies plus tard. C’est d’ailleurs sous leur impulsion que l’étudiante s’oriente vers le génie industriel, une discipline qui la séduit parce qu’elle est axée sur la logique et la logistique. En 1996, Maud obtient un baccalauréat avec une spécialité en robotique ; elle est prête à voyager à l’étranger pour découvrir de nouveaux horizons.
Embauchée par Walsh Automation Inc., puis Walsh Europe Limited principalement en Grande-Bretagne et en France, la gestionnaire de projets participe à l’automatisation manufacturière, particulièrement dans le secteur pharmaceutique, secoué par une série d’événements marquants (erreurs de production, empoisonnement, etc.). Le suivi des lignes de production et d’information sur les conditions d’exécution deviennent des actions majeures pour assurer la traçabilité des lots. En 2001, l’activité ralentit du côté de l’Europe ; la jeune ingénieure et son conjoint français s’interrogent sur l’opportunité de revenir au Québec. Maud Cohen considère les postes de décision des organisations de la France, mais estime qu’ils sont encore trop peu ouverts aux femmes pour vouloir y rester. Cap sur l’Amérique du Nord pour le couple ; Maud Cohen revient chez Walsh Automation (devenue Systèmes Invensys Canada) et voyage fréquemment aux États-Unis, puis en Ontario.
Et les affaires dans tout ça ?
C’est alors que Dominique Anglade, son amie de promotion à Polytechnique, entre en action. Elle, qui l’avait orientée vers le génie industriel, lui souffle une nouvelle idée. « Dominique commençait un MBA à HEC Montréal ; cette formation pouvait se faire tout en travaillant, indique la directrice de Polytechnique Montréal. J’ai trouvé très pertinent d’approfondir mes connaissances en gestion, pour raffiner certaines notions comme la stratégie organisationnelle, la gestion financière, les habiletés de gestion. »
Son MBA en poche en 2004, Maud Cohen poursuit son travail de gestionnaire de projets reliés à la technologie, tout en songeant à déployer ses ailes d’administratrice.
Un article paru dans Plan l’incite à présenter sa candidature au Conseil d’administration de l’Ordre, et elle devient administratrice en juin 2004. Surprise! Non, elle est élue présidente en juin 2009, et on lui confiera trois mandats successifs, jusqu’en 2012. Ces années furent marquantes pour une profession alors secouée par les scandales dévoilés au grand jour par la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. L’affaire démarre en octobre 2011 à la suite de la fuite du « rapport Duchesneau ».
Au coeur de la tempête
« Dès 2009, il nous est rapidement apparu important de demander la tenue d’une commission d’enquête, raconte l’ingénieure. Comme organisme de protection du public, nous visions un idéal de pratique touchant aussi l’éthique de nos membres. Cela me semblait primordial de corriger les problèmes en jeu pour l’ensemble de la société, et d’adopter de saines règles de gouvernance. Il ne faut pas oublier que les contrats concernés étaient payés avec de l’argent public. » Cette soif d’idéal et ce besoin d’agir dans les affaires publiques, citoyennes, son engagement dans la communauté la poussent ensuite à s’investir en politique. À l’occasion des élections de 2012, elle brigue le poste de députée de la circonscription de Laval-des-Rapides pour la Coalition avenir Québec (CAQ), alors présidée par Dominique Anglade. Ce nouveau parti l’attire par son discours de promotion du nationalisme québécois, détaché de la souveraineté. La candidate voit dans le programme de cette formation une façon pour le Québec d’aller plus loin dans ses ambitions, et de faire davantage de place à l’éducation.
Arrivée troisième dans cette circonscription remportée par Léo Bureau-Blouin du Parti québécois, Maud Cohen assume ensuite pendant un an la présidence du Conseil national de la CAQ ; ce sera l’occasion pour elle de s’imprégner des rouages des partis politiques et du fonctionnement du Parlement. Puis, elle conjugue divers mandats, notamment ceux d’administratrice à Aéroports de Montréal et chez Gestion FÉRIQUE ; elle enseigne aussi à titre de chargée de cours à HEC Montréal, sans oublier l’accompagnement de son jeune fils dans son cheminement scolaire au primaire.
Aider à sauver des vies
En 2014, Maud Cohen entre en fonction comme présidente et directrice générale de la Fondation CHU Sainte-Justine, un poste auréolé d’une forte mission sociale liée aux sciences, dont rêve la gestionnaire soucieuse d’influer sur le cours des choses pour améliorer la vie des mères et des enfants du Québec. « Ma formation en génie m’a beaucoup rapprochée des centres de recherche qui disposent des meilleurs professionnels et d’équipements de pointe, souligne-t-elle avec enthousiasme. Je possédais les outils scientifiques pour bien comprendre les besoins des chercheurs et chercheuses et les rendre accessibles à nos donateurs pour qu’ils se mobilisent. »
Celle qui figure dans la liste des « 100 femmes leaders de l’avenir » de la revue Entreprendre en 2010 et 2018 met tout en place pour appuyer la stratégie de recherche du CHU Sainte-Justine. Elle contribue à financer notamment le recrutement de jeunes chercheurs et chercheuses et leurs travaux en génomique et en thérapie cellulaire, ainsi que des équipements de soins d’avant-garde. On l’aura compris, la dirigeante de Polytechnique Montréal rêve d’une technologie au service des populations, dont les priorités se discutent par une collaboration renforcée au sein de groupes élargis. C’est d’ailleurs cette vision qu’elle apporte à Polytechnique Montréal.
Première femme à la diriger depuis sa création en 1873, Maud Cohen milite pour une grande ouverture à l’autre, que ce soit les femmes ou les personnes les plus diverses possibles. Cet engagement se traduit également par sa volonté d’augmenter l’ampleur de l’influence positive de Polytechnique Montréal sur la société. À l’aube du 150e anniversaire de Polytechnique Montréal, Maud Cohen est bien déterminée à y arriver. Fière que cet établissement d’enseignement ait atteint sa cible de 30 % d’effectif féminin, sa directrice veut faire partie d’une société qui encourage tout un chacun à s’impliquer, pour une plus grande créativité et un avenir durable et inclusif.
En savoir plus :