Prévenir le travail en vase clos
Cet article s’inscrit dans la collection « PRATIQUE EXEMPLAIRE ».
Par Mélanie Larouche, journaliste.
Le fait que la norme de génie civil NFPA 24 (Standard for the Installation of Private Fire Service Mains and their Appurtenances), relative à la conception de conduites d’eau souterraines destinées au réseau de protection incendie, soit méconnue et par conséquent trop souvent négligée entraîne des risques qui pourraient pourtant être circonscrits. Le même sort est actuellement réservé à la norme BNQ 1809-300 (Travaux de construction — Conduites d’eau potable et d’égout — Clauses techniques générales), qui oblige les ingénieurs et les ingénieures à désinfecter ces mêmes conduites avant leur mise en service. Ces deux normes mésestimées sont toutefois essentielles pour assurer la sécurité des installations.
Le nœud du problème tient au manque de synergie entre le travail effectué par les membres de l’Ordre exerçant dans le domaine du génie civil et celui des membres qui exercent dans le domaine de la protection incendie. Dans ce cas précis, ces professionnels et professionnelles travaillent en vase clos, sans connaître les obligations des uns et des autres, ce qui représente un réel frein dans la gestion adéquate des risques associés aux conduites d’eau souterraines. Ce manque de complémentarité dans la réalisation des plans et devis peut entraîner la non-conformité des installations, en plus d’accroître le risque d’un disfonctionnement des équipements de protection incendie et/ou de la contamination du réseau d’eau potable.
Et comme si ce n’était pas suffisamment préoccupant, l’édition 2023 de la norme BNQ 1809-300 ne s’appliquant plus aux terrains privés, rien n’est alors maintenant exigé en matière de désinfection de la tuyauterie desservant ces terrains. Ainsi, si l’ingénieur ou l’ingénieure en génie civil omet de préciser dans ses documents qu’il faut désinfecter la conduite d’eau, les entrepreneurs ne sont pas tenus de le faire. Ce vide réglementaire accroît les risques.
Protection incendie
Lorsqu’il s’agit de protection incendie, plusieurs considérations doivent être prises en compte au moment de la conception et de l’installation de conduites d’eau souterraines. « Pour un système de protection incendie automatique sous eau (gicleur), on doit vérifier la source d’eau et sa qualité, surtout si elle ne provient pas d’un réseau d’eau potable, explique Pierre Provençal, ingénieur-conseil et formateur. Si l’eau provient d’un réseau d’eau potable, il faut déterminer sa capacité selon la méthode décrite dans la norme NFPA 291 (Recommended Practice for Water Flow Testing and Marking of Hydrants). Au Québec, c’est la norme NFPA 24 qui s’applique en protection incendie ; celle-ci ne couvre toutefois pas le volet contamination, si ce n’est le fait d’exiger un rinçage pour éliminer les débris. Avant le 3 octobre 2023, la désinfection de la conduite sur un terrain privé était couverte par la norme BNQ 1809-300 (2018), mais la nouvelle édition ne l’exige plus pour un terrain privé. »
Dans un monde idéal, dès le début du projet, l’ingénieur en protection incendie doit prendre le temps d’expliquer à l’ingénieur civil qui s’occupe de la conduite reliant le bâtiment au réseau municipal (ou autre) son obligation de respecter la norme NFPA 24.
Pierre, Provençal, ing.
Prévenir les risques
Parmi les mesures permettant de prévenir les risques de contamination des conduites d’eau souterraines, la plus efficace est assurément de favoriser un échange d’informations fluide et complet entre les ingénieurs et ingénieures au dossier. « Dans un monde idéal, dès le début du projet, l’ingénieur en protection incendie doit prendre le temps d’expliquer à l’ingénieur civil qui s’occupe de la conduite reliant le bâtiment au réseau municipal (ou autre) son obligation de respecter la norme NFPA 24 et de s’assurer que les exigences à satisfaire pour s’y conformer sont inscrites dans les plans et devis précise Pierre Provençal. Et puisque la norme BNQ 1809-300 ne s’applique plus sur un terrain privé, l’ingénieur civil a aussi le devoir d’imposer dans les clauses techniques particulières l’application de cette norme. »
Place à l’amélioration
En protection incendie, il existe deux types de projets : ceux qui sont réalisés selon des plans et devis complets et ceux qui sont faits à partir de plans et devis de performance. « Pour les projets s’appuyant sur des plans et devis complets, tout se passe bien de façon générale, note l’ingénieur-conseil. Cependant, pour les projets réalisés selon des plans et devis de performance, il y a des progrès à faire ! »
Des leçons à tirer
Pierre Provençal souligne qu’avant le 3 octobre 2023, la contamination ne représentait pas un réel un problème si les ingénieures et ingénieurs en génie civil s’assuraient que le chapitre ˙˙ de la norme BNQ 1809-300 était respecté. Ce chapitre précise que les essais doivent être faits par des firmes spécialisées, sous l’autorité et la direction immédiate d’une ingénieure ou d’un ingénieur. « Cependant, les ingénieurs de ces firmes spécialisées n’ont pour la plupart aucune connaissance des obligations touchant la protection incendie définies dans la norme BNQ 1809-300, et s’en rendent compte lors des essais. Chaque projet nécessite un suivi serré et beaucoup de formation. Le même problème existe chez des entrepreneurs en travaux civils. Pour moi, la principale leçon à tirer en ce qui a trait à la protection incendie est de ne jamais tenir pour acquis que l’ingénieur civil possède les connaissances nécessaires en la matière.
De fâcheuses conséquences…
Pour illustrer ses propos, Pierre Provençal relate une récente expérience vécue dans une usine de plastique de Saint-Jean-sur-Richelieu. « Il s’agissait d’un projet de modernisation de la protection incendie dans l’usine. Les travaux impliquaient entre autres de refaire à neuf des sections souterraines, et d’installer une pompe à incendie et une fosse souterraine pour un dispositif anti-refoulement. L’entrepreneur civil ne connaissait pas les exigences d’essais dictées par la norme NFPA 24-2013 ; il n’avait pas l’expertise ni les méthodes de travail appropriées. Par conséquent, les essais et les réparations ont été refaits jusqu’à six fois par section de réseau, et le tout s’est éternisé sur une période de deux ans. L’une des fuites se situait dans le sol sous le plancher de béton de la salle de pompe à incendie, laquelle était déjà installée. L’entrepreneur en travaux civils en question a eu des difficultés financières et n’a pas été en mesure de finaliser son contrat. »
Bon à savoir
Conduites d’eau potable et de protection incendie : différences selon les normes
Nettoyage – Rinçage
- BNQ 1809-300 (2023) article 11.2.2.4: 1 m/s.
- NFPA 24 (2013) article 10.10.2.1.3: 3 m/s (10 pieds/seconde).
Test d’étanchéité
- BNQ 1809-300 (2023): 850 kPa (123 psi) pendant 1 h.
- NFPA 24 (2013) article 10.10.2.2.1 : 1 379 kPa (200 psi) pendant 2 h.
Butée de retenue en béton (thrust Block)
- BNQ 1809-300 (2023) article 10.4.8.2 note 1: ‘‘L’utilisation des butées de béton n’est pas recommandée’’
- NFPA 24 (2013) article 10.8.2 : Fortement recommandé et donne de façon très détaillée comment calculer les dimensions de la butée de retenue.
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