Recyclage de pneus : du noir de carbone plus vert
Cet article s’inscrit dans la collection « VOIR GRAND ».
Par Valérie Levée, journaliste
Si les pneus sont noirs, c’est parce qu’ils contiennent du noir de carbone issu des combustibles fossiles. Recycler les pneus hors d’usage par pyrolyse, c’est la méthode innovante d’Ecolomondo.
Le 16 mai 1990, à Saint-Amable, le dépotoir de pneus s’enflamme. Le brasier durera quatre jours et coûtera plus de 150 millions de dollars en intervention des pompiers et pour décontaminer le site. « Quand les pneus brûlent, on voit de la fumée noire. Ça contamine tout, l’air, le sol… », commente Sabrina Charron, directrice des opérations à Recyc-Québec. Or, dans ces années-là, il y avait plusieurs de ces dépotoirs où les pneus s’accumulaient à ciel ouvert. De là, la décision du gouvernement du Québec de réglementer l’entreposage des pneus et de mettre en place un programme de gestion des pneus hors d’usage, programme confié à Recyc-Québec.
« Nous gérons ce programme depuis plus de 30 ans, poursuit Sabrina Charron. Nous avons un réseau sur tout le territoire du Québec qui compte plus de 13 000 points de retour de pneus, majoritairement des garagistes, des concessionnaires et des écocentres. Nous avons aussi six centres de traitement des pneus, et des transporteurs de Recyc-Québec qui acheminent les pneus du point de retour vers le centre de traitement. »
Ces six centres de traitement sont des partenaires industriels du programme et s’inscrivent dans la hiérarchie des 3R-V : réduction à la source ; réemploi ; recyclage ; valorisation. Par exemple, Techno Pneu fait du remoulage de pneus et favorise le réemploi ; Dynamat, Animat et Royal Mat recyclent les pneus en tapis pour divers usages, tandis que TPOL et Faïda fabriquent des granules de caoutchouc. Seule la cimenterie Geocycle fait encore de la valorisation énergétique des pneus, et cela concerne moins de 1 % des pneus hors d’usage.
Chaque année, 100 000 tonnes de pneus sont ainsi recyclées au Québec. De son côté, à son usine pilote située à Contrecœur, Ecolomondo met au point un tout autre procédé de traitement des pneus en fin de vie.
« Nous avons un réseau sur tout le territoire du Québec qui compte plus de 13 000 points de retour de pneus, majoritairement des garagistes, des concessionnaires et des écocentres. Nous avons aussi six centres de traitement des pneus, et des transporteurs de RECYC-QUÉBEC. »
Sabrina Charron, Directrice des opérations à Recyc-Québec
La voie de la pyrolyse
La pyrolyse, c’est la décomposition thermique en absence d’oxygène de polymères organiques qui se réduisent ainsi en trois fractions, une solide, une liquide et une gazeuse. Le procédé s’applique au caoutchouc. Mais un pneu ne se compose pas uniquement de caoutchouc, car les fabricants ajoutent du noir de carbone pour améliorer les propriétés mécaniques et la résistance aux UV, ainsi que de la silice et divers additifs. Le procédé d’Ecolomondo permet de décomposer thermiquement les pneus par pyrolyse pour en récupérer le noir de carbone dans la fraction solide.
« Concrètement, on déchiquette les pneus, on enlève les fibres et l’acier, explique Hugo Morin, ing., directeur de l’ingénierie à Ecolomondo. On obtient des granules de caoutchouc de deux millimètres. On les met dans un réacteur, on enlève l’oxygène et on chauffe. » Dans ces conditions, la grande molécule de caoutchouc se brise en molécules de plus petites tailles pour former un gaz et une huile, tandis que la fraction solide incluant le noir de carbone se retrouve au fond du réacteur. Le gaz produit sert de combustible pour chauffer le réacteur. « On est autosuffisants en énergie », assure Hugo Morin. L’huile, légère ou lourde, peut trouver divers débouchés dans l’industrie chimique et peut notamment servir de combustible pour produire du noir de carbone vierge. La fraction solide est récupérée pour produire du noir de carbone recyclé, aussi appelé noir de carbone récupéré et qu’Ecolomondo commercialise sous le nom de Mondo Black.
Ecolomondo a mis plus de 20 ans à concevoir cette technologie et a ouvert une usine à Hawkesbury, en Ontario, capable de traiter 14 000 tonnes de pneus par an pour produire 5300 tonnes de noir de carbone récupéré, en plus de l’acier et de l’huile.
« On voit un changement de mentalité chez les fabricants de pneus, induit par le besoin de verdir l’industrie. On a rencontré plusieurs fabricants de pneus, dont Michelin, qui cherchent à utiliser du noir de carbone récupéré pour fabriquer des pneus plus verts. »
Hugo Morin, ing. – Directeur ingénierie à Ecolomondo
La demande pour un noir de carbone plus vert
En misant sur le recyclage du noir de carbone des pneus, Ecolomondo se distingue de la filière québécoise de traitement des pneus. Mais l’entreprise n’a pas plongé dans le vide, car le noir de carbone est partout. Il est produit industriellement par la combustion incomplète d’un hydrocarbure et est utilisé comme pigment noir dans les cartouches d’encre et dans une foule de produits en plastique et en caoutchouc. « Tout ce qui est en plastique noir contient du noir de carbone », indique Hugo Morin. Dans les pneus, « le mélange de caoutchouc contient du latex naturel et du caoutchouc synthétique, et environ 50 % en poids du mélange de caoutchouc est du noir de carbone », précise Hugo Morin. Sans ce noir de carbone, les pneus prendraient la couleur du latex et seraient pâles, comme l’étaient les premiers pneus. Il existe donc un important marché pour le noir de carbone. De plus, dans un contexte de décarbonation de l’industrie, il existe même un marché pour le noir de carbone récupéré puisqu’en remplaçant le noir de carbone vierge d’un produit, il permet d’en réduire l’empreinte carbone. Ecolomondo estime en effet que la production de Mondo Black émet 90 % moins de GES que la fabrication de noir de carbone vierge à partir d’hydrocarbures.
Les fabricants de pneus n’échappent pas à ce mouvement. « On voit un changement de mentalité chez les fabricants de pneus, induit par le besoin de verdir l’industrie, signale Hugo Morin. On a rencontré plusieurs fabricants de pneus, dont Michelin, qui cherchent à utiliser du noir de carbone récupéré pour fabriquer des pneus plus verts. »
Cependant, les pneus sont soumis à un important contrôle de qualité sur toutes les matières qui les composent. Or, le noir de carbone récupéré d’Ecolomondo n’est pas pur, puisqu’il contient aussi d’autres constituants des pneus rassemblés dans la fraction solide au fond du réacteur de pyrolyse. Mais l’American Society for Testing and Materials travaille à établir des normes pour le noir de carbone récupéré, et Ecolomondo pourra se conformer aux normes pour que son Mondo Black réponde aux exigences de l’industrie du pneu.
Ecolomondo, qui a déjà une usine en activité en Ontario, s’apprête à en ouvrir une deuxième au Texas. D’autres pourraient voir le jour ultérieurement, en raison de l’augmentation du parc automobile, du tonnage de pneus en fin de vie et de la demande en noir de carbone récupéré.
Le noir de carbone récupéré : un marché prometteur
La Banque de données des statistiques officielles sur le Québec indique que le nombre de véhicules de promenade est passé de 4 422 283 en 2012 à 4 993 645 en 2022, soit une hausse d’environ 570 000 véhicules en 10 ans. En conséquence, la demande en pneus neufs et en traitement de pneus hors d’usage augmente.
À l’échelle du Canada, MarkNtel Advisors estime que le marché du pneu connaîtra une croissance annuelle de 2 % sur la période de 2022 à 2027.
Quant au marché du noir de carbone, le taux de croissance annuel du marché mondial est estimé à 7,7 % pour la période de 2021 à 2022, selon Data Bridge Market Research. Il atteint 25 % pour le noir de carbone récupéré sur la période de 2013 à 2031.
Sources :
- Nombre de voitures au Québec : https://bdso.gouv.qc.ca
- Marché du pneu : https://www.marknteladvisors.com
- Marché du noir de carbone : https://www.databridgemarketresearch.com/fr/reports/ global-specialty-carbon-black-market
- Marché du noir de carbone récupéré : https://www.databridgemarketresearch.com/ fr/reports/global-recovered-carbon-black-rcb-market
D’autres applications de la pyrolyse
La pyrolyse n’est pas réservée au traitement des pneus hors d’usage et peut s’appliquer à d’autres produits composés d’hydrocarbures. Les produits qui en sortiront dépendent de la composition de ce qui entre dans le réacteur. Un premier défi est alors de caractériser les produits et de leur trouver des débouchés. Un deuxième défi consiste à assurer une production constante, ce qui suppose un approvisionnement stable de la matière à décomposer.
Ainsi, à son usine pilote de Contrecœur, Ecolomondo a déjà expérimenté la pyrolyse pour décomposer des plastiques, des couches et des bardeaux d’asphalte.
« Dans le bardeau d’asphalte, il y a de l’asphalte qui peut être décomposé et une partie inerte qui va rester dans le réacteur, explique Hugo Morin, directeur de l’ingénierie à Ecolomondo. Mais il reste à faire de la recherche pour caractériser le produit ; il faut aussi avoir un flux constant et propre de bardeaux non contaminés avec d’autres résidus de construction. »
Pour s’assurer de la régularité et de la qualité du flux de la matière entrant, une autre piste est possible. « Les entreprises qui génèrent elles-mêmes des rebuts d’hydrocarbures pourraient appliquer la pyrolyse pour traiter leurs rebuts à l’interne », propose Hugo Morin.
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