Travaux subaquatiques – Sonder et réparer l’invisible
Cet article s’inscrit dans la collection « Dossier Travaux subaquatiques ».
Par Pascale Guéricolas
Lorsque Maxim Roy enfile son lourd scaphandre et fixe sur sa tête son casque pesant quelques kilos ainsi que des plombs à ses chevilles pour mieux descendre, il ressemble à s’y méprendre au capitaine Haddock dans la bande dessinée de Hergé Le Trésor de Rackham le Rouge. « C’est vrai que, visuellement, cette partie de l’équipement ne semble pas avoir vraiment changé depuis le début du XXe siècle », reconnaît avec un sourire cet ingénieur en génie civil de 39 ans.
L’ingénieur scaphandrier
Copropriétaire de l’entreprise Services Subaquatiques BLM (BLM) avec l’ingénieure en génie mécanique Isabelle Therrien, Maxim Roy connaît plusieurs rivières, lacs ou bords de quais comme sa poche, du nord de l’Ontario jusqu’à la Nouvelle-Écosse, en passant par la Mauricie, le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie. Une cinquantaine de jours chaque année, du printemps à l’automne, ce passionné de plongée palpe et ausculte les infrastructures sous-marines, à la recherche de défauts pouvant mettre en péril leur stabilité.
L’an dernier, les inspections ont conduit l’entreprise à recommander la fermeture du quai de New Richmond, en Gaspésie. Il manquait en effet beaucoup de pieux, ou ils étaient endommagés, ce qui compromettait la sécurité des lieux. L’ingénieur a suggéré une analyse de capacité portante avant de rendre de nouveau la structure accessible au public.
Maxim Roy peut aussi conseiller de changer des arceaux métalliques qui ceinturent un tuyau d’amenée d’eau, ou concevoir et installer des équipements particuliers. C’est le cas par exemple pour un bassin d’eau potable de la Ville de Québec. BLM y installera prochainement un bouchon en acier inoxydable de plus d’un mètre que Maxim Roy a conçu, afin que les ouvriers puissent travailler à sec dans une section de l’usine.
« Il faut donner des consignes précises à la personne sous l’eau pour réparer ou inspecter les structures. La visibilité reste très limitée, même avec deux lumières fixées au casque de plongée. »
— Maxim Roy, ing. —
BLM
Une expertise unique
Ces travaux nécessitent une grande préparation. Embauché par des producteurs d’hydro-électricité, le ministère des Pêches et Océans du Canada, le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec ou des cabinets de génie, l’ingénieur scaphandrier descend à 3, 6, 9 ou même 15 mètres sous l’eau, relié à un assemblage de tuyaux fournissant de l’air et de câbles permettant la communication avec la surface. Il peut aussi guider une autre personne sous l’eau, en assistant parfois un autre ingénieur ou une autre ingénieure responsable du projet, car cet univers requiert des compétences bien particulières.
« Le fond de certains cours d’eau a souvent l’aspect de café au lait, indique le codirigeant de BLM. Il faut donner des consignes précises à la personne sous l’eau pour réparer ou inspecter les structures. Quand on ne connaît pas ce milieu, c’est souvent difficile. La visibilité reste très limitée, même avec deux lumières fixées au casque de plongée. » De plus, les communications entre les deux mondes n’ont rien d’aisé, même à seulement quelques mètres de distance. Les conversations qui passent par les câbles de communication accrochés au scaphandre ressemblent plus souvent qu’autrement à des « crachotis », et il y a beaucoup d’interférences. Voilà pourquoi il faut parler distinctement et utiliser un langage de type militaire pour se comprendre.
Autre difficulté, le courant sous-marin peut déporter le scaphandrier et par conséquent s’avérer très dangereux. Les vitesses d’écoulement sont donc des variables à bien établir préalablement à une plongée. Les fameux « renards » sont également une importante source de danger. Ceux-ci aspirent parfois le plongeur lorsque le site de plongée présente un différentiel de pression. Mieux vaut en cas de doute utiliser une moppe artisanale pour préalablement sécuriser la zone.
Sécuriser les chantiers
Maxim Roy est parfaitement conscient que maîtriser les caractéristiques du milieu subaquatique demande beaucoup d’expérience et des connaissances bien précises, puisque chaque cours d’eau est unique. « Souvent, mes collègues me donnent des indications sur le débit de la rivière lorsque je les interroge sur les courants, explique-t-il. Sauf que la vitesse d’écoulement n’a rien à voir avec le débit, c’est une autre mesure. »
D’autre part, la durée de la plongée ne dépend pas des caractéristiques du chantier à réaliser. En fait, elle se calcule selon des tables règlementaires bien précises, prenant en compte la profondeur à atteindre et le mélange gazeux utilisé pour alimenter en air le scaphandrier. Et les entreprises qui embauchent BLM apprennent rapidement qu’une plongée à plus de 15 mètres nécessite la présence d’un caisson hyperbare sur le chantier, qui servira en cas d’accident de décompression.
Passer d’un univers à l’autre
L’ingénieur scaphandrier navigue avec aisance entre les contraintes du génie et celles du monde subaquatique, lui qui a d’abord pratiqué la plongée sous-marine en loisir. En 2014, ce diplômé de l’Université de Sherbrooke a choisi de concilier ses intérêts professionnels et sa passion en suivant un cours de scaphandrier à Marseille, en France, une formation qu’il faut d’ailleurs constamment rafraîchir, tant il s’agit d’un milieu dangereux. Autre obligation : le scaphandrier doit passer régulièrement des tests physiques pour vérifier sa bonne condition de santé. Adepte de vélo de montagne et s’adonnant au hockey trois fois par semaine, l’ingénieur s’assure de garder un cœur en bon état.
Fort de cette expérience unique, ce professionnel participe régulièrement comme consultant à des chantiers pour ce qui concerne des piliers de ponts ferroviaires ou d’assises de barrages, ou encore des structures d’arrivée d’eau potable. Dans un monde où les débits des rivières varient de plus en plus, ce rôle d’inspection et de réparation va sans doute devenir primordial dans les années à venir. D’autant plus que l’utilisation de drones ou de robots sous-marins semble peu adaptée pour l’instant aux besoins locaux.
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