Toit vert : des congrès aux récoltes

Le bon ensoleillement et la température qui règnent sur les toits de Montréal sont propices à l’agriculture. Pour cette raison, il y a 13 ans, le Palais des congrès de Montréal a verdi son toit pour y cultiver des fruits et… même des légumes exotiques !

Cet article s’inscrit dans la collection « ACCOMPLIR ».
Par Valérie Levée, journaliste.


Le toit vert du Palais des congrès est né en 2011 dans le cadre du 9e Sommet mondial Écocité, organisé par le Centre d’écologie urbaine de Montréal. L’événement avait accueilli plus de 1000 participantes et participants venus de 70 pays pour discuter des bonnes pratiques d’urbanisme durable telles que l’agriculture urbaine sur les toits. En 2023, le toit vert du Palais des congrès de Montréal est passé de 1500 m2 à 3250 m2, et la production agricole future devrait dépasser les 10 tonnes. Les bénéficiaires en sont les restaurants, des organismes communautaires et l’environnement.

« On commence la saison en mars et on récolte jusqu’au début de novembre », précise Éric Duchemin, professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement à l’UQAM. Il est aussi le directeur du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB) qui, en 2016, a pris les rênes de cette ferme maraîchère urbaine en toiture. Depuis, le toit vert du Palais des congrès est un site d’expérimentation et une vitrine technologique de l’agriculture urbaine.

Dans sa version initiale, les systèmes de culture étaient limités et se résumaient à des pots en géotextile et des supports verticaux posés à même la toiture, non sans risque d’endommager la membrane et d’altérer l’étanchéité. En outre, il n’y avait pas de toit vert intensif, c’est-à-dire un espace de culture sur terreau. Mais en 2020, une nouvelle règlementation de Montréal sur la gestion des eaux pluviales allait donner au Palais des congrès l’occasion de réaménager son toit vert.

 

Gérer les eaux pluviales

Adopté en juin 2020, le Règlement sur les branchements aux réseaux d’aqueduc et d’égout publics et sur la gestion des eaux pluviales demande aux immeubles dont la surface imperméable est supérieure à 1000 m2 de mettre en place un système de gestion des eaux pluviales pour les retenir et les envoyer graduellement dans le réseau d’égout. Le Palais des congrès était concerné. « Nous avons redéployé le jardin en fonction des nouvelles exigences de la Ville de Montréal sur la rétention d’eau et des souhaits d’AU/LAB pour faire évoluer le jardin et faire davantage de recherche et d’innovation », évoque Emmanuelle Legault, présidente-directrice générale du Palais des congrès. AU/LAB voulait en effet expérimenter la culture intensive en sol ; et comme le terreau retient l’eau, il peut contribuer à la gestion des eaux de pluie.

C’est là que les ingénieures et ingénieurs en structure et en mécanique arrivent dans ce projet d’agriculture urbaine ; ils doivent évaluer la capacité portante de la toiture et contrôler le débit d’eau. Mais au Palais des congrès de Montréal, les expositions, salons, colloques et autres événements se suivent sans interruption et ne laissent aucune latitude pour entreprendre des travaux majeurs. Renforcer la structure de la toiture pour lui permettre de supporter une charge supplémentaire n’était donc pas une option. Il fallait adopter la démarche inverse et partir de la capacité portante de la structure existante pour évaluer la charge possible de terreau et d’eau, sans oublier la charge de neige. Autre contrainte, les travaux se sont déroulés pendant l’hiver 2022-2023 et il fallait déneiger les lieux d’intervention et trouver où entreposer sur le toit la neige ainsi que les matériaux.

 

« Nous avons fait une évaluation du poids additionnel sur la toiture en condition hivernale pour vérifier ce qu’il est possible de faire et trouver, en coordination avec l’architecte, des solutions d’aménagement paysager. »

MARC LACHAPELLE, TECHNICIEN, CHARGÉ DE PROJET CHEZ BPA

 

Réaménager la toiture

Heureusement, la toiture avait été conçue pour d’éventuels agrandissements en hauteur du bâtiment et offrait de la marge. « Nous avons fait une évaluation du poids additionnel sur la toiture en condition hivernale pour vérifier ce qu’il est possible de faire et trouver, en coordination avec l’architecte, des solutions d’aménagement paysager. Comme il y a des accumulations de neige plus importantes près des murs, ces espaces étaient moins propices à recevoir de grandes quantités de terreau », explique Marc Lachapelle, technicien, chargé de projet chez BPA.

La solution a été de retenir l’eau dans deux types de bassin, horticoles et non horticoles. Les bassins horticoles contiennent 23 ou 30 centimètres de substrat pour la culture en sol. « La terre accumule l’eau et la renvoie graduellement dans le drain. On n’a donc pas besoin de rétention additionnelle », indique Marc Lachapelle. Les autres bassins doivent accumuler l’eau en fonction de leur capacité portante et être équipés d’un drain à débit contrôlé pour répondre aux exigences du Règlement sur les branchements aux réseaux d’aqueduc et d’égout et sur la gestion des eaux pluviales et ne pas surcharger le réseau d’égout. La coordination entre les génies en structure et en mécanique était de mise.

Le réaménagement prévoyait aussi la pose d’un plan- cher de bois pour faciliter la culture en pots, de même que l’installation de structures verticales sans danger pour la membrane et d’éléments de sécurisation des lieux pour accueillir le public.

 

L’agriculture en toiture : un potentiel insoupçonné

Il pousse sur le toit du Palais des congrès une étonnante variété de fruits et légumes (tomates, courgettes, aubergines, poivrons, etc.) et même de la vigne. « Cet espace végétalisé a accueilli le premier vignoble sur toit du Canada et le premier vignoble urbain en milieu nordique du monde », lance fièrement Emmanuelle Legault. « Du vin et de la piquette, une boisson alcoolisée couplant le raisin et d’autres fruits, ont été produits », ajoute Éric Duchemin. Les chaudes températures ont d’ailleurs demandé de remplacer des plantes et des variétés, car celles qui avaient été sélectionnées pour le frais climat québécois n’étaient pas adaptées aux conditions régnant sur le toit. « Nous sommes allés chercher des cultivars de tomates plus adaptés aux zones tropicales. Au lieu de cultiver des épinards qui montent en graines à cause de la chaleur, nous avons semé des tétragones », illustre Éric Duchemin. AU/LAB a produit des fraises, des pêches, des kiwis et autres fruits. « On cultive de l’ail, du bok choy, de l’okra, des crocus pour produire du safran, du gingembre…», poursuit Éric Duchemin.

Une partie de la production est vendue à des restaurants et notamment à Maestro Culinaire, le partenaire alimentaire exclusif du Palais des congrès. « Des restaurateurs regrettaient d’acheter de l’okra à l’étranger et sont contents de pouvoir s’approvisionner ici », confie Éric Duchemin. Une autre partie de la production est donnée à des organismes communautaires qui poursuivent des projets sociaux d’inclusion et de lutte contre l’insécurité alimentaire. En partenariat avec le Centre social d’aide aux immigrants, une parcelle était ainsi accessible aux immigrantes et immigrants. Une dizaine de personnes travaillant au centre de congrès ont aussi pu cultiver leur propre parcelle. Ces retombées sociétales s’inscrivent dans la mission de développement durable que s’est donnée le Palais des congrès.

 

« Cet espace végétalisé a accueilli le premier vignoble sur toit du Canada et le premier vignoble urbain en milieu nordique du monde. »

EMMANUELLE LEGAULT, PRÉSIDENTE-DIRECTRICE GÉNÉRALE DU PALAIS DES CONGRÈS

 

Un laboratoire en plein ciel

En plus de tester les semences, AU/LAB a mené de nombreuses expérimentations sur les dispositifs de culture et la rentabilité économique.

Pour maximiser la surface cultivée, AU/LAB a testé des systèmes de culture hydroponique verticale sur colonnes et sur feutres. Ces derniers sont installés sur des structures autoportantes et contiennent des poches dans lesquelles sont insérés les plants. L’avantage est de pouvoir cultiver des fines herbes ou des fleurs, et pas seulement des plantes grimpantes comme c’est le cas sur des treillis. « Ça découpe l’espace et ça donne une ambiance exceptionnelle, s’ex- clame Éric Duchemin. Le Palais des congrès est un lieu événementiel, alors on essaie de rendre l’endroit beau et agréable! » Le système d’irrigation est intégré au feutre, qui devient imbibé, et les plantes y puisent leurs fertilisants et finissent même par y envoyer des racines. « C’est assez complexe et il faut s’y connaître pour utiliser ce système de culture », reconnaît Éric Duchemin.

Les bassins horticoles permettent maintenant une culture intensive et offrent une comparaison de la productivité sur 23 ou 30 centimètres de terreau qui pourra lui-même être comparé avec la culture en pots ou en plein champ. AU/LAB mène aussi des expérimentations sur le terreau. « Au lieu d’utiliser un terreau commercial qui vient de ressources non renouvelables, nous avons voulu voir si nous pouvions faire un terreau avec les matières organiques de la ville comme le bois d’élagage, du substrat de champignonnière, du frass d’insectes », indique Éric Duchemin. En 2024, il est prévu de travailler sur l’irrigation et la fertilisation afin d’apporter l’eau et les engrais en fonction de la météo et des besoins des plantes et d’éviter que le surplus d’engrais se retrouve à l’égout.

Enfin, tout un volet de recherche porte sur la rentabilité de la culture en toiture et la mise au point d’un modèle économique. Il est question, par exemple, de déterminer quelles plantes sont productives et requièrent un minimum d’entretien pour limiter le besoin en ressources humaines, à quels prix vendre les produits et sous quelles formes (frais, séchés, en poudre, en sauce). À ce volet économique se greffe un projet de recherche en agrotourisme.

AU/LAB assure un transfert technologique au Québec, aux États-Unis et même en Europe.

 

« Au lieu d’utiliser un terreau commercial qui vient de ressources non renouvelables, nous avons voulu voir si nous pouvions faire un terreau avec les matières organiques de la ville comme le bois d’élagage, du substrat de champignonnière, du frass d’insectes »

ÉRIC DUCHEMIN, PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’INSTITUT DES SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT À L’UQAM ET DIRECTEUR DU LABORATOIRE SUR L’AGRICULTURE URBAINE (AU/LAB).

 

Le rayonnement du Palais des congrès et de Montréal

Les nouveaux aménagements peuvent maintenant accueillir des groupes de 50 personnes où sont organisées des activités spéciales associées aux événements qui se déroulent au Palais des congrès. « L’été dernier, nous avons tenu une activité gastronomique au cœur du toit vert, mentionne Emmanuelle Legault. Notre partenaire Maestro Culinaire a préparé des mets avec les produits cultivés au Palais. » Le jardin sur le toit devient ainsi un atout qui favorise la candidature du Palais des congrès pour la tenue d’événements internationaux. « Ça participe au rayonnement de Montréal », estime Emmanuelle Legault.

Il faut dire que, d’après une étude réalisée pour le compte de l’Office montréalais de la gastronomie, Montréal fait déjà figure de capitale mondiale en agriculture urbaine. En plus du toit du Palais des congrès, Montréal compte en effet de nombreuses fermes urbaines qui produisent des fruits et légumes, mais aussi des champignons et même des poissons. Et comme il existe une multitude de toits plats inexploités dans la ville, l’agriculture urbaine montréalaise a encore un fort potentiel d’expansion ! /Il faut dire que, d’après une étude réalisée pour le compte de l’Office montréalais de la gastronomie, Montréal fait déjà figure de capitale mondiale en agriculture urbaine. En plus du toit du Palais des congrès, Montréal compte en effet de nombreuses fermes urbaines qui produisent des fruits et légumes, mais aussi des champignons et même des poissons. Et comme il existe une multitude de toits plats inexploités dans la ville, l’agriculture urbaine montréalaise a encore un fort potentiel d’expansion !

 

Des bénéfices environnementaux

En plus de produire de la nourriture, le toit vert du Palais des congrès de Montréal fournit aussi un ensemble de services écologiques.

En participant à la gestion des eaux de pluie, un toit vert réduit l’engorgement des réseaux d’égout et les surverses d’eaux sales dans les milieux naturels à la suite de fortes pluies. Les bénéfices environnementaux se répercutent donc au-delà du bâtiment.

Le toit vert participe aussi à la lutte contre les îlots de chaleur. D’une part, les plantes changent l’albédo de la toiture et réfléchissent davantage la lumière qu’un toit nu, de sorte que l’air au-dessus du toit vert se réchauffe moins. D’autre part, les plantes transpirent, et le passage de l’eau du liquide à la vapeur prélève de l’énergie à l’air ambiant, ce qui se traduit par une diminution de la température.

« Quand nous étions sur le toit l’été dernier, c’était plus frais du côté du jardin que du côté béton », témoigne Emmanuelle Legault.

« Nous avons constaté une baisse de température très importante dans la section maraîchage », confirme Éric Duchemin.

L’humidité, la température et la végétation créent un habitat qui attire les oiseaux et les insectes, le tout formant un microécosystème. Une parcelle est d’ailleurs entièrement réservée à des plantes qui attirent les insectes pollinisateurs.

« L’été dernier, il y avait des tournesols sur le toit, et les oiseaux s’en donnaient à coeur joie », rapporte Éric Duchemin.

En ville, les toits verts sont autant d’oasis qui s’ajoutent aux espaces verts pour maintenir la biodiversité urbaine.

 

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