Travaux subaquatiques – S’adapter aux contraintes du fleuve et des chantiers
Cet article s’inscrit dans la collection « Dossier Travaux subaquatiques ».
Par Pascale Guéricolas
D’immenses pieux longs de 73 mètres, installés sur la plateforme de forage flottante dans le Vieux-Port de Québec, semblent contempler le château Frontenac et les maisons centenaires autour qui dominent la marina. Cet équipement hors du commun, qui a valu le prix Honoris Genius – Projet d’ingénierie 2023 de l’Ordre au Groupe Océan, attend désormais une nouvelle utilisation, notamment pour des travaux subaquatiques. Imaginée pour servir d’assise pour une étude géotechnique du sous-sol marin du fleuve Saint-Laurent entre Québec et Lévis préalable à la construction d’un ouvrage reliant les deux rives, cette plateforme a nécessité une grande ingéniosité pour pallier plusieurs problèmes techniques.
« Pour permettre la circulation d’un véhicule fluvial robuste, nous avons utilisé le concept de multicoques profilés pour réduire la traînée, réduire le tirant d’eau et augmenter la vitesse d’avancement. »
— Bruno Leclerc, ing. —
Cette adaptation constante à des conditions très variables dans le fleuve constitue le pain quotidien du Groupe Océan, qui se spécialise depuis plus de 50 ans dans les services maritimes. Bruno Leclerc, ingénieur en génie mécanique depuis 13 ans pour cette entreprise, travaille avec son équipe sur la façon de stabiliser des plateformes et d’assurer la résistance de ces structures flottantes. Très polyvalent, cet expert en architecture navale réfléchit aussi à la façon de réduire la résistance de l’eau sur les coques et analyse l’effet de la force des glaces.
De nombreux défis techniques
Dans le cas de l’étude liée à la construction d’un autre lien entre les deux rives du fleuve, la profondeur du fleuve dans cette zone, environ 60 mètres, obligeait à disposer de pieux d’une longueur dépassant la norme pour pouvoir se fixer dans le fond de l’eau. Un tel élément de forme élancée se montre potentiellement sensible aux vibrations causées par les forces aérodynamiques et hydrodynamiques. Les pieux pouvaient être abaissés vers le fond seulement au moment où les courants de marée étaient minimaux, au moment de l’étale. Pour résoudre le problème du poids supplémentaire entraîné par des pieux en acier beaucoup plus longs que les modèles standards, Bruno Leclerc et son équipe ont trouvé une solution innovante. Le but : ne pas risquer qu’ils cassent ou se déforment malgré leur poids de 54 tonnes chacun. « Nous avons conçu des pieux plus épais que les dimensions communes, tout en gardant le même périmètre, précise l’ingénieur en R et D. Ce compromis nous a conduits à utiliser un grade d’acier plus résistant, mais moins résilient, limitant l’utilisation des pieux à des températures supérieures à – 100C. Cela permettait de conserver des puits d’insertion des pieux de dimension standard. » Autre difficulté, la longueur même des pieux rendait leur transport difficile. Là encore, l’équipe d’ingénierie a fait preuve de créativité.
Matériau innovant
« Nous avons conçu des pieux plus épais que les dimensions communes, tout en gardant le même périmètre, précise l’ingénieur en R et D. Ce compromis nous a conduits à utiliser un grade d’acier plus résistant, mais moins résilient, limitant l’utilisation des pieux à des températures supérieures à – 100C. Cela permettait de conserver des puits d’insertion des pieux de dimension standard. » Autre difficulté, la longueur même des pieux rendait leur transport difficile. Là encore, l’équipe d’ingénierie a fait preuve de créativité.
Bruno Leclerc et son équipe ont imaginé des pieux modulaires, composés de deux sections, munis d’une connexion servant à les assembler et à les séparer aisément au besoin. Ce joint a été conçu et calculé, en collaboration avec un fournisseur spécialisé dans la fabrication de tuyaux destinés aux pipelines, pour offrir une grande résistance en utilisant des cônes d’assemblage. Les morceaux ainsi séparés, il devenait plus facile de faire voyager l’équipement autant par les voies terrestres que par la voie maritime.
Tout cela nécessitait aussi des systèmes de levage novateurs pouvant manipuler une telle charge. Des tours de levage modulaires de près de 10 m et un système composé de treuils, de poulies, de câbles souples et d’unités hydrauliques ont donc été ajoutés à la plateforme, sans oublier une plateforme secondaire coulissante permettant d’établir précisément l’emplacement de la foreuse.
Naissance du « CATATUG »
Autre chantier récent auquel Bruno Leclerc a participé : la mise au point d’un nouveau remorqueur imaginé par l’architecte naval Réjean Desgagnés, adapté aux besoins de la construction du nouveau pont Champlain. Cette réalisation a valu au Groupe Océan le prix Reconnaissance pour un projet innovateur pour la région Québec–Chaudière-Appalaches décerné par l’Ordre en 2018. Pour acheminer des pièces très particulières de cet ouvrage d’art sur les lieux des travaux, il fallait disposer d’un remorqueur bien différent des modèles monocoques en acier.
Voici comment l’équipe composée de cinq personnes a commencé à réfléchir à un véhicule fluvial robuste, pouvant circuler dans une eau de faible profondeur, mais à fort courant, et pouvant pousser des barges portant des composantes du nouveau pont. « Nous avons opté pour un catamaran en aluminium, un matériau recyclable et doté d’une très bonne résistance à la corrosion, indique l’ingénieur en génie mécanique. Nous avons utilisé le concept de multicoques profilés pour réduire la traînée, réduire le tirant d’eau et augmenter la vitesse d’avancement. Autre aménagement : installer la timonerie sur le côté plutôt qu’au centre, de manière à faciliter le chargement du pont. »
La structure modulaire novatrice du Catatug permet aussi de le faire s’échouer sur un banc de sable pour faciliter l’embarquement ou le débarquement, ce qui est très pratique dans des régions où il n’existe pas d’infrastructures d’accostage. Certaines pièces du nouveau pont Champlain ont pu être transportées par la voie fluviale, ce qui a allégé un réseau routier déjà saturé.
Barge catamaran
Une barge catamaran aux dimensions hors normes de 76 m sur 40 m, pouvant supporter 6 colonnes de levage imposant chacune une charge de 800 tonnes au pont, a également été conçue pour retirer d’un seul bloc et de manière stable les travées de béton de 1 800 tonnes chacune du vieux pont Champlain. Des boîtes à sable et des matelas de distribution de charge ont été utilisés comme assise des colonnes de levage. On voulait ainsi éviter le renforcement de la structure de la barge sous le pont. Une connexion atypique, mais simple reliait efficacement les différents modules flottants constituant la barge.
De telles innovations stimulent Bruno Leclerc, qui a fait un doctorat après avoir terminé un baccalauréat et une maîtrise en génie mécanique. Ses connaissances en processus de conception l’aident à trouver des solutions novatrices à des problèmes complexes.
Les équipements mis au point pour supporter des charges doivent en effet répondre à des critères très précis de stabilité hydrostatique, en plus d’être adaptés à la composition variable des fonds sous-marins, et de réagir adéquatement à de multiples conditions (marées, courants, vents, vagues et glace). Dans cet univers mouvant, l’ingénieur Bruno Leclerc navigue comme un poisson dans l’eau…
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